Massacre à Rafah : on déplore, on condamne, et après ?
Larmes de crocodiles
Le 11 mai, Israël ordonnait à la population civile de Rafah d'évacuer la Ville. Deux semaines plus tard, au motif ou au prétexte d'éliminer deux chefs du Hamas, il bombardait la "zone humanitaire" où s'étaient réfugiés, sous tente, les évacués de Rafah. Bilan : 45 morts civils, dont une majorité de femmes et d'enfants, certains déchiquetés ou brûlés vifs dans l'incendie de leurs tentes. Un "tragique accident", selon Netanyahou. Au passage, les installations de l'UNRWA ont été détruites. A défaut sans doute de pouvoir détruire l'UNRWA elle-même. Et deux jours plus tard, dans le sud de Gaza, une nouvelle frappe sur un rassemblement de réfugiés faisait 25 morts. Un autre "tragique accident", sans doute. La faute à personne. Ou à pas de chance. Ou à la malice des temps. Aujourd'hui, c'est la journée internationale des casques bleus. Il n'y en a pas, à Gaza. A Gaza, il y a encore l'UNRWA. Sous les bombes.
La compassion rhétorique sans décision politique, ce n'est rien d'autre que de la complicité.
Depuis bientôt huit mois s'abattent bombes,
missiles et drones sur Gaza, en représailles du pogrom commis en
Israël le 7 octobre par le Hamas. La punition collective des
Palestiniens pour les crimes commis par l'organisation
politico-militaire islamiste qui a fait de toute la population
de Gaza son bouclier humain a fait à ce jour plus de 35'000
morts, sous les applaudissements de l'extrême-droite
israélienne. Militairement, Tsahal peut
gagner la bataille de Gaza -ou à tout le moins, ne pas la
perdre. Politiquement, médiatiquement, Netanyahou a perdu la
guerre, et l'a fait perdre à Israël. Et peut aussi faire perdre
l'élection présidentielle américaine à Biden, et faire élire
Trump en ayant éloigné de Biden la gauche démocrate, sans lui
rallier la droite républicaine...
Le 7 avril, Israël avait commencé à "redéployer" son armée dans le sud de la bande de Gaza, et des milliers de Palestiniens et de Palestiniennes, et d'enfants, avaient d'abord pris la route vers la principale ville du Sud, Khan Younès, évacuée -mais détruite. Netanyahou réaffirmait son objectif irréaliste d'éradication du Hamas "dans toute la bande de Gaza, y compris à Rafah", surpeuplée, et proclamait qu'Israël était "à un pas de la victoire", après déjà 33'000 morts Palestiniens, essentiellement des civils, essentiellement des femmes et des enfants. A Tel-Aviv, 100'000 personnes demandaient sa démission et des élections anticipées (que réclamait aussi Benny Gantz, membre du cabinet de guerre), et la libération négociée des 129 otages alors toujours aux mains du Hamas -mais on ne savait pas combien étaient encore vivants. On ne le sait d'ailleurs toujours pas. Et l'Etat d'Israël, dont le gouvernement n'a aucun plan crédible pour Gaza après la bataille (si "après" il y a, et si Gaza il y a encore),n'a jamais été aussi isolé.
En janvier, la Cour internationale de Justice reconnaissait un "risque de génocide" à Gaza, en mai le Procureur de la Cour pénale internationale demande qu'un mandat d'arrêt soit lancé contre Netanyahou et son ministre de la Défense, Gallant. Le 5 avril, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a exigé l'arrêt de toute vente d'armes à Israël, en raison des craintes de "génocide" envers les Palestiniens. Sur les 47 membres de l'instance, 28 avaient voté en faveur de cette résolution non contraignante, six s'y étaient opposés, dont les Etats-Unis et l'Allemagne, treize, dont la France, s’étaient abstenus. qui se sont abstenus. Le Canada, les Pays-Bas et l'Espagne, ont assuré qu'ils avaient arrêté leurs livraisons d'armes. Les USA ont, pour la première fois, menacé le 9 mai de cesser de transférer des armements à Israël, dont ils sont le premier fournisseur d'armes, et avaient, par la voix de Joe Biden, averti les Israéliens que "S'ils entrent à Rafah, je ne leur livrerai pas les armes qui ont toujours été utilisées (...) contre des villes". Joe Biden a confirmé la suspension début mai d'une livraison de 1800 bombes de 900 kg et de 1700 bombes de 220 kg, mais en six mois, près de cent livraisons d'armes ont été effectuées, et le 24 avril le Congrès avait sur proposition du gouvernement, accordé 15 milliards de dollars d'aide supplémentaire à Israël et aux Palestiniens, l'aide à ces derniers étant d'ordre humanitaire alors qu'une part importante de celle accordée à Israël est d'ordre militaire. Or Joe Biden a lui-même reconnu publiquement que "des civils ont été tués à Gaza à cause de bombes (américaines) et d'autres moyens utilisés pour attaquer des zones peuplées".
Aujourd'hui, l'Espagne, l'Irlande et la Norvège
ont rejoint les 142 autres pays à reconnaître la Palestine comme
Etat.
Il y a quelques jours, l'Assemblée générale
des Nations Unies votait une résolution demandant la
reconnaissance de la Palestine comme Etat membre de plein droit
de l'ONU, mais pour que cette résolution soit suivie d'effet, il
fallait que le Conseil de Sécurité la ratifie -or les USA y ont
mis leur veto. Deux Etats Européens
membre du Conseil de Sécurité se sont abstenus : la
Grande-Bretagne, membre permanent, et la Suisse, membre
temporaire. Les douze autres Etats membres, permanents ou
temporaires, ont soutenu la proposition -tel fut le cas de la
France, membre permanent, qui ne reconnaît pas d'Etat
palestinien mais a soutenu la demande de le reconnaître, et,
évidemment, de la Chine et de la Russie, savourant l'isolement
des USA dans leur soutien à la position israélienne.
Le 29 novembre 2012
l'Assemblée générale avait accepté la Palestine en tant
qu'État observateur non membre par 138 voix (dont la Suisse,
la France et la Belgique) contre 9 (dont les Etats-Unis, le
Canada et Israël) et 41 abstentions (dont l'Allemagne et le
Royaume-Uni). Côté israélien,
la Knesset a voté une résolution refusant toute "reconnaissance
unilatérale d'un Etat palestinien", mais elle serait totalement
inopérante contre un vote, par définition multilatéral, du
Conseil de Sécurité, après un vote encore plus multilatéral de
l'Assemblée Générale... Encore faudrait-il que les USA renoncent
à opposer leur veto à une reconnaissance sans laquelle il ne
peut y avoir de paix possible, puisqu'il n'y aurait aucun
partenaire palestinien de plein droit à une négociation de paix.
En attendant quoi, sur Gaza, sa population
civile, sur les hôpitaux et les écoles, sur les ONG, sur
l'UNRWA, sur les journalistes, pleuvent les bombes et les
balles. Et les mots contristés. Et les postures consternées. Et
l'impuissance volontaire des uns. Et les dénonciations
hypocrites ou intéressées des autres. Et les récupérations
crapuleuses.
Emmanuel Macron s'est "indigné". Mais la France
n'a pas reconnu l'Etat palestinien. La Suisse, elle, n'a rien
dit. Le silence, l'abstention, l'indignation rhétorique sans
décision politique, qu'est-ce, sinon de la complicité ?
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