"Une vie ici, une voix ici" et la démocratie d'ici : Emanciper la citoyenneté

Le 9 juin, les Genevois et Genevoises disposant du droit de vote décideront de l'accorder aussi, au plan cantonal (ils en disposent déjà) au plan municipal aux étrangers résidant à Genève depuis au moins huit ans. Et de leur accorder en même temps le droit d'élire et d'être élu, de signer des référendums et des initiatives populaires. La gauche, les syndicats, des associations... et le Conseil d'Etat soutiennent l'initiative. La droite, l'extrême-droite et les conseillères d'Etat PLR et centriste la combattent. Pour elles, les droits politiques doivent rester liés à la nationalité suisse -or ils ne le sont déjà plus puisqu'ils en disposent partiellement au plan municipal -ce qui fait des communes genevoises le seul espace institutionnel où la majorité de la population en dispose. Au fond, il ne s'agit que d'accorder à des étrangers et des étrangères résidant à Genève depuis plus de huit ans des droits accordés aux Confédérés y ayant débarqué depuis trois mois. Qui connaît mieux Genève, des unes, des uns ou des autres ? Emancipons la citoyenneté de la nationalité...

Les libertés et les droits, quand on les partage, on les renforce

Le Conseil d'Etat genevois soutient donc l'initiative populaire 189 "Une vie ici, une Voix ici… Renforçons notre démocratie !", qui vise à étendre les droits politiques cantonaux (droit d'élire, de voter et de signer des initiatives et des demandes de référendums et droit d'éligibilité) des personnes de nationalité étrangère, âgées de 18 ans révolus, domiciliées dans le canton et qui ont leur domicile légal en Suisse depuis 8 ans au moins. Ce soutien est le fait d'une majorité du gouvernement (les deux socialiste, le Vert et Pierre Maudet), qui l'a imposé à une minorité (les deux PLR et la centriste). Les droits politiques que l'initiative veut accorder au plan cantonal aux étrangers et étrangères établis à Genève, ils en disposent déjà partiellement au plan communal et totalement au plan cantonal les étrangers à Neuchâtel et dans le Jura. Et ni dans ces cantons, ni dans les communes genevoises, cela ne pose de problème autre que les crises d'allergie idéologique de la droite. Et même, précise le Conseil d'Etat, "ce mécanisme fonctionne à la perfection". Et le communiqué de nos Magnifiques Seigneurs de la République ajoute : "De l'avis de la majorité du Conseil d'Etat, l'initiative permettrait notamment – à travers l'élargissement du corps électoral – un accroissement du taux de participation, une meilleure représentativité lors des votations et des élections et une légitimité accrue aux décisions politiques". 

En effet, au plan cantonal, à Genève, du fait de l'exclusion des étrangers de l'exercice des droits politiques au plan cantonal, s'ajoutant à celle des mineurs, seule une minorité de la population du canton peut voter ou élire, ou signer des référendums et des initiatives, alors qu'une majorité de la population des communes peut le faire. Ce qui rend les communes plus démocratiques que le canton, si on veut bien admettre que la démocratie se mesure par le nombre de celles et ceux qui peuvent se prononcer sur les affaires publiques et élire des représentants. Le Conseil d'Etat "estime en outre que les nombreuses personnes qui résident durablement sur le territoire cantonal devraient être à même de participer directement aux décisions qui les concernent, alors qu'à Genève plus de 40% des personnes majeures ne peuvent pas bénéficier de l'exercice des droits politiques en raison de leur nationalité. En outre, cet élargissement des droits politiques, sous conditions, aux personnes étrangères correspond aux valeurs d'ouverture défendues par le canton de Genève depuis de nombreux siècles" -et donc ignorées par trois ministres sur sept.   Enfin, le Conseil d'Etat considère que "par le biais de l'exercice des droits politiques, les dispositions de l'initiative offrent un outil efficace pour l'intégration des personnes étrangères et une passerelle intéressante sur le long chemin de la naturalisation". Voilà. C'est promis, on ne dira plus de mal du Conseil d'Etat en général et de Pierre Maudet en particulier. Mais bon, hein, les promesses n'engagent que ceux qui y croient.

Le 22 juin dernier, la majorité de droite du nouveau Grand Conseil genevois, d'où Ensemble à Gauche n'avait pu accéder faute de quorum, et où le parti de Pierre Maudet avait fait une entrée fracassante,  refusait l'initiative. La droite la combattait en se rivant  sur l'exigence d'une naturalisation suisse pour que les étrangers résidant à Genève aient accès à ces droits au plan cantonal (alors que  la citoyenneté est déjà dissociée de la nationalité lors des votes et des élections municipales). Le seul pas en direction de cet accès avait été, timidement fait par les maudétistes de "Libertés et justice sociale" (LJS), en faveur de l'éligibilité au niveau communal -peine perdue : la droite a non seulement refusé l'initiative, mais aussi un contreprojet. 

On votera "oui" à "Une vie ici, une voix ici" parce qu'on croit (encore) à la démocratie. Qu'on ne croit pas que les droits politiques naissent dans les couilles des géniteurs indigènes ou des procédures de naturalisation (bien plus favorables aux riches qu'aux pauvres, et aux expats des multinationales qu'à leur personnel de maison). Et surtout, parce qu'une décision prise lors d'un vote populaire ou le choix issu d'une élection sont d'autant plus légitime que plus de personnes ont pu y prendre part, et y ont pris part. 

Quand la majorité du peuple réel ne dispose pas des droits populaires, la démocratie n'est qu'un corps amputé, comme elle l'était à Genève quand les catholiques (avant 1798), les pauvres (avant 1848), les femmes (avant 1961) n'en disposaient pas.

Certes, à chaque fois qu'on a élargi le corps électoral, on a fait progresser l'abstention : plus de personnes ont disposé des droits politiques, mais une plus grande proportion de ceux (puis de celles) qui les ont acquis se sont abstenus. Quand on est passé du suffrage censitaire (seuls les hommes propriétaires pouvaient voter) au suffrage universel masculin, quand on a accordé les droits politiques aux femmes, quand on a abaissé l'âge y donnant droit, quand on les a accordés au plan communal aux étrangers établis, on a accru à la fois  le corps électoral et le nombre des abstentionnistes. Parce que les pauvres votent moins que les riches, les femmes moins que les hommes, les jeunes moins que les vieux, les étrangers moins que les "nationaux" Et alors ? Faudrait-il priver les femmes, les pauvres et les plus jeunes de droits politiques parce qu'ils et elles les utilisent moins que des hommes, plus riches et plus vieux ? La seule cohorte statistique qui participe majoritairement aux scrutins est celle des hommes sexagénaire, universitaires, indigènes disposant d'un revenu d'au moins 150'000 francs par an...  Aujourd'hui, avec un taux de participation plus bas aux élections municipales qu'aux élections cantonales, on a des dizaines de milliers de plus de votantes et de votants aux premières qu'au secondes, parce que les étrangers et les étrangères peuvent voter. Et les élections et votations municipales sont les seules où le corps électoral est majoritaire dans la population -et donc les seules  dont les résultats sont incontestablement légitimes.

L’élargissement des droits politiques, loin d’affaiblir les droits de ceux et celles qui les ont déjà, les augmentent. ... Genève a connu une «démocratie» réservée à un petit groupe de patriciens protestants, petit à petit elle s’est élargie... en s'élargissant, elle s'est renforcée Quand les femmes ont obtenu les droits politiques,  les hommes n’ont rien perdu, et quand les étrangers les obtiendront, les indigènes et les naturalisés n'y perdront rien non plus, au contraire !

Les libertés et les droits, quand on les partage et les étend, on les renforce.



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