Comme un vol de gerfauts sur la tombe de Léon Blum

 

Ainsi fronts font front...

A l'annonce de la conclusion d'un accord entre les trois principaux partis de la gauche française (LFI, PS, Verts) pour former un "nouveau Front Populaire", de toute la droite et d'anciens hiérarques socialistes, on a feint de geindre : "Léon Blum doit se retourner dans sa tombe" en apprenant que le PS fait alliance avec la France Insoumise, réputée (par eux) infréquentable. C'est en entendant ce genre de conneries, où on ne sait ce qui l'emporte de l'inculture historique et de la mauvaise foi politique qu'il devrait se retourner dans sa tombe, Léon Blum. Parce que quand même, son Front Populaire à lui, cet accord électoral qui lui a permis de devenir Premier Ministre d'un gouvernement de gauche il l'a conclu (sous pression de la base, après les émeutes facistes de 1934) avec un parti  réputé tout aussi infréquentable : le Parti communiste. Et pas le Parti communiste de Fabien Roussel : le Parti communiste de Maurice Thorez et (surtout) de Jacques Duclos, maître de l'appareil. Le PC avec qui les socialistes et les radicaux font alliance, c'est un PC ultrastalinien, directement piloté depuis Moscou, par Staline et Dimitrov. Et c'est cette alliance, conclue contre l'extrême-droite de l'époque et ses supplétifs de droite (les Ciotti du temps), qui a permis à Blum de former son gouvernement, auquel les communistes ne participaient pas... Alors, hein, "Front Populaire", c'est bien en 2024 une référence historiquement fondée : des trois "fronts" qui vont se faire face aux Législatives françaises, il n'y en a réellement que deux qui vont compter : celui de la gauche et celui de l'extrême-droite. Ce sera l'un ou l'autre. Dans ces conditions, que le Front Populaire rassemble de François Hollande à Philippe Poutou ne tient que de l'anecdote -l'essentiel étant qu'il rassemble. Pour le soutenir et soutenir sa candidate pour la circonscription des Français de Suisse, notre camarade (socialiste) Halima Delimi, un rassemblement de soutien au Nouveau Front Populaire tiendra aujourd'hui 

à Genève à 18 heures place St Gervais.

Un choix politique, c'est toujours un choix, jamais une fatalité

Macron, qui est le seul de son camp sûr de rester à son poste après les Législatives qu'il a convoquées, les définit comme une "bataille des valeurs contre les extrêmes". Les "extrêmes" ? Le Rassemblement national et ses ralliés (Ciotti, Maréchal Le Pen) d'un côté, le Nouveau Front Populaire de l'autre ("extrêmes", les socialistes français ?), il les a renforcés, alors qu'il comptait les diviser. Dans ce scénario à la "Baron  Noir", le coup de poker, de bluff ou de roulette russe de Macron a achevé d'éclater la droite démocratique, et a, ce qu'il n'avait certainement pas prévu, réunifié la gauche. Pour lui, c'est une "clarification"  et sur ce point, mais sur ce point seulement, il a raison : il y a une gauche, il y a une droite, et entre les deux, un marais.  Contre son camp, il ne voit d'adversaires que des alliances "contre nature". Contre quelle nature ? Ciotti défend les mêmes positions que le Rassemblement National depuis des années, Marion Maréchal s'appelle tout de même Le Pen et ne fait que retrouver sa famille biologique et politique, et le Nouveau Front Populaire tient à la fois de l'Union de la Gauche façon 1981 et de la NUPES façon 2022... pour ne pas remonter plus avant encore, au Front Populaire de 1936... qui rassemblait, pour donner aux socialistes les conditions institutionnelles de la formation d'un gouvernement (auquel les communistes ne participeront pas), les socialistes eux-mêmes, les radicaux et les communistes. Le nouveau Front Populaire de 2024 les donne aussi, ces conditions en rassemblant socialistes, Verts, Insoumis, et une partie de la gauche révolutionnaire. C'est ce rassemblement qui importe, parce que des trois "fronts" qui vont se faire face aux Législatives françaises, il n'y en a réellement que deux qui comptent : celui de la gauche et celui de l'extrême-droite. Ce sera l'un ou l'autre. Dans ces conditions, que le Front Populaire rassemble de François Hollande à Philippe Poutou ne tient que de l'anecdote -l'essentiel étant qu'il rassemble.

Une victoire du Front-Rassemblement National aux Législatives est possible (les sondages le donnent en tête des intentions de vote), mais pas inéluctable (les mêmes sondages donnent le Front Populaire à quelques points de l'extrême-droite). Qu'elle aboutisse à la majorité absolue que réclame Bardella ou à une majorité relative lui accordant le plus fort groupe à l'Assemblée nationale donnerait un formidable appui à toutes les extrême-droits européennes. Y compris en Suisse : les courants d'air politiques ignorent les frontières. Etre solidaires en Suisse du Front populaire français, et tout particulièrement dans cette enclave suisse en France qu'est Genève, relève donc, comme le Front Populaire lui-même, de la nécessité -et de l'utilité : nous savons bien que les spasmes politiques français font aussi tressaillir ici. 

"Les hommes ont à donner à leur vie individuelle et collective une signification qui n'est pas pré-assignée, et qu'ils ont à le faire aux prises avec des conditions réelles qui ni excluent ni ne garantissent l'accomplissement de leur projet", écrit (en 1975) Cornelius Castoriadis. Rien ne contraignait (ni ne leur interdisait) les femmes et les hommes qui ont formé en quelques jours le Nouveau Front Populaire en France à le former : ce fut leur choix, rationnel. Sans doute le ce Front Populaire était-il nécessaire. Mais il n'était pas inéluctable. Un choix politique, c'est toujours un choix, jamais une fatalité. Et ce choix là, celui de ne pas baisser les bras face à l'extrême-droite, est à l'honneur de celles et ceux qui l'ont fait. Manqué, il eût été à leur déshonneur.







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