Législatives françaises : Aux urnes, citoyens !
On vote dimanche en France (et depuis mardi dans le monde entier, pour les Français de l'étranger) pour le premier tour des législatives anticipées provoquées par le président Macron. En dissolvant l'Assemblée Nationale pour soigner la blessure d'amour-propre due à la défaite de son camp aux Européennes, il n'a pas seulement dissout la Chambre : il a aussi dissout la droite démocratique, son propre camp ("il a tué la majorité présidentielle", oraisonne son ancien Premier ministre Edouard Philippe) et la rationalité du débat politique. Beau bilan -même s'il reste président. Pour deux ans, au maximum. "Nous sommes dans une situation où la France est en danger", soupire le député macroniste sortant de la circonscription des Français de Suisse et du Liechtenstein, Marc Ferracci, Ouais, mais la faute à qui ? La dissolution, ("une des pires décisions politiques de ces cinquante dernières années" en France, résume Alain Rebetez dans "Le Matin Dimanche") Macron (ou du moins ses conseillers) l'envisageait sans doute depuis des mois -depuis que les sondages donnaient le Rassemblement National vainqueur potentiel de toutes les élections à venir. Macron, Au-delà du petit cercle de ces conseillers du président, personne ou presque n'avait été averti de ses intentions, pas même le Premier ministre, ni la présidente de l'Assemblée nationale, ni le président du Sénat. Macron avait une ambition : faire exploser la NUPES (c'est raté) et les Républicains (c'est réussi), et constituer autour du président un "bloc central" assez puissant pour continuer à gouverner (c'est sans doute raté aussi).
Le vote pour le Front-Rassemblement National s'est banalisé, mais un gouvernement du RN n'aurait, lui, rien de banal.
La défaite du Parti présidentiel aux élections
européennes a été si lourde qu'il a même été battu non seulement
par le Rassemblement National, ce qui était attendu, mais aussi
par le Parti socialiste, ressuscité par la liste conduite par
Raphaël Glucksmann. Macron essayait de se consoler en disant de
l'élection européenne qu'elle fut un "défouloir" -mais le
défoulement a perduré après la dissolution de l'Assemblée. Dès
lors, il pense avoir trouvé la clef de l'évitement de la défaite
de son camp en renvoyant dos à dés les "extrémismes de droite et
de gauche", assimilant donc au même "extrémisme" le Nouveau
Front Populaire et le Rassemblement National. Extrémistes, donc,
François Hollande, Lionel Jospin, Raphaël Glucksmann, François
Ruffin, Dominique Voynet ?
Les derniers sondages dont nous avons eu
connaissance donnent entre 27 et 30 % d'intentions de vote pour
le Front Populaire (et entre 1,5 et 3 % pour les "divers gauche"
et l'"extrême-gauche non ralliée au NFP), contre 31,5 à 35 %
pour le RN (et entre 5 et 6 % pour les ciottistes et les
zemmouriens). Le Front Populaire présente des candidatures
uniques dans quasiment toutes les circonscriptions, comme la
NUPES en 2022, mais la France Insoumise le représente dans
beaucoup moins de circonscriptions le PS dans beaucoup plus (il
y a plus de candidats PS, Verts et PC que de candidatures LFI)
qu'en 2022. Et Jean-Luc Mélenchon ne domine plus l'alliance, ni
n'en est le candidat au poste de Premier Ministre. Et les
principales personnalités socialistes qui s'opposaient à la
NUPES en 2022 (comme François Hollande ou Carole Delga)
soutiennent aujourd'hui le Front Populaire.
Mélenchon, veut-il que le Front Populaire les gagne, les
élections ? Vraisemblablement pas. Peu importe : le Nouveau
Front Populaire était indispensable, il a été conclu, à l'appel,
notamment, de François Ruffin. Ce n'est qu'un accord électoral ?
Sans doute. Mais c'était déjà le cas de l'Union de la Gauche
autour du Programme Commun de 1972. Le PC avait d'ailleurs tout
fait pour plomber cette union, comme Méluche aujourd'hui fait
tout pour plomber la campagne unitaire du NFP. Parce qu'elle
risque de profiter plus au PS (dont à l'époque il était membre,
et dont il fut ministre) qu'à la France Insoumise. Et qu'il a dû
avaler un programme (celui du Nouveau Front Populaire) qui
reconnaît l'évidence que le Hamas est un groupe terroriste et
que l'Ukraine devait être soutenue. Et qu'il n'y aucune chance
(ou aucun risque) que lui, le Grand Leader, devienne Premier
ministre.
Quant au Rassemblement National, la question se pose aussi de savoir non pas tant qu'il
veuille gagner les élection, il le veut, sans aucun doute., mais
de savoir s'il veut gouverner. Et c'est de loin moins évident.
Comme il n'est de loin pas évident qu'il le puisse, même en
ayant réduit son programme à rien. Car même majoritaire à
l'Assemblée nationale, il ne le sera pas au Sénat, et les lois
votées par l'Assemblée devront être promulguées par le
président. Il ne pourra donc gouverner que par décret valides
pour un temps limité. Il aura en outre affaire au Conseil
constitutionnel, au Conseil d'Etat, à l'Union Européenne... et à
l'opposition de gauche, qui tiendra la rue, avec les syndicats.
Et son programme initial était inapplicable sans rupture
institutionnelle du cadre français, et sans rupture avec l'Union
Européenne. Bardella et Le Pen ont donc considérablement rabattu
de leurs ambitions programmatiques affichées. Mais pas de leur
culture politique. Le vote pour le
Front-Rassemblement National s'est banalisé -et Macron n'y est
pas pour rien. Pour autant, un gouvernement du RN n'aurait, lui,
rien de banal. Parce que le RN reste un parti fondamentalement
et prioritairement xénophobe, avec un fonds raciste omniprésent.
La "préférence nationale", l'abolition du droit du sol, la
stigmatisation de la double-nationalité, la dénonciation de
l'immigration, ce n'est pas face aux Suisses ou aux Belges
qu'elles s'adressent... sauf sans doute aux Suisses ou aux
Belges "noirs"...
Dans une enquête Ipsos réalisée juste avant les
élections européennes remportées par le Rassemblement National,
l'immigration constituait le sujet majeur pour 23 % des sondés et l'un des trois sujets majeurs pour 43 % des Français.es comptant voter. Mais elle était surtout
le thème de prédilection du Front-Rassemblement National depuis
sa création-et avant lui de toutes les extrême-droites
françaises depuis un siècle. Et c'est un thème lourdement lesté de racisme, et d'un
racisme lui-même lourdement lesté de l'héritage post-colonial :
quand celles et ceux qui le reprennent assurent qu'"il y a trop
d'immigrés en France", c'est bien des Africains, qui pourtant
ne totalisent, Nord-africains compris, que moins de la moitié
des immigrants (de personnes étrangères résidant en France mais
nées à l'étranger). Sauf qu'il faudrait pas pour autant que la
gauche se campe drapée dans sa probité et tout de lin blanc
vêtue: depuis 1980, 29 lois sur l'immigration ont été adoptées
en France: cela en fait une tous les 17 mois. Et sur proposition
de gouvernements de droite comme de gauche... alors on peut bien
se dire que les succès du RN ont libéré la liberté de la parole
de merde, mais on ne peut pas se dire innocemment qu'on a tout
fait pour que de telles paroles ne paraissent pas légitimes à
qui les dégueule.
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