Refus de l'élargissement du corps électoral genevois : Les ilotes le restent

 

A 61 % des votants, avec une participation de 46 %, le corps électoral suisse du canton de Genève a refusé d'accorder aux étrangers(41 % de la population du canton) les droits politiques dont il dispose. Les ilotes le restent, pour encore des années. En Ville de Genève  le résultat est meilleur (sans hélas être inverse) : l'initiative est soutenue par 45,55 % des votes, et est acceptée dans huit locaux, avec un maximum de 56,7 % de votes favorables à la Jonction. Le refus municipal tient à la forte différence de participation entre les locaux de droite (tous opposés à l'élargissement de la démocratie) et ceux de gauche : 55 % de participation à Florissant-Malagnou, 58 % d'abstention aux Acacias... ce qui ne peut que nourrir le regret de n'en avoir pas fait plus pour la soutenir. Et la volonté de faire ruisseler ce choix d'un élargissement des droits démocratiques sur les autres villes du canton : l'initiative a été soutenue à44 % à Carouge, 42 % à Vernier, à 40 % à Lancy, à 39 % à Onex, à 38 % à Meyrin...

"Essayer encore. Rater encore. Rater mieux" (Samuel Beckett)

En accordant aux étrangers résidents les droits politiques cantonaux complets, il ne s'agissait que de faire un pas de plus vers une démocratie réelle à Genève, si on veut bien admettre que l'étymologie puisse avoir quelque sens politique : "démocratie", pouvoir du peuple. Sinon de tout le peuple, du moins de la majorité de celles et ceux qui le composent. Or à Genève, il n'y a que dans l'espace communal où la majorité du peuple ait son mot à dire dans les votations et les élections -que celles et tous ceux qui en ont le droit en usent, cela les regarde : ce qui regarde la démocratie, la République, la commune, c'est de donner ce droit, pas d'en imposer l'usage. Des milliers d'étrangères et d'étrangers militent dans des centaines d'associations culturelles, sportives, sociales, dans des syndicats, des partis politiques. La démocratie, ce n'est pas seulement le droit de vote et d'élire, mais sans ce droit, elle n'est pas la démocratie. 

Le SIT avait fait circuler dans les chantiers, les salles de pause, les manifestations une urne pour un vote consultatif, avec cette question : "êtes vous favorable au droit de vote des étrangers-ères ?"... seulement 3 % des réponses furent négatives. Certes, à Genève, où ils disposent du droit de vote (et d'initiative et de référendum) au plan municipal, les étrangères et les étrangers ne l'utilisent guère, mais les différences sont considérables entre les nationalités : les taux de participation pour les principales nationalités étrangères vont de 12,9 % chez les Portugais à 40,2 % chez les Belges (qui votent donc plus que les Suisses, Genevois compris, dont le taux de participation moyen est de 40,2 %, et a été de 46 % hier ). Le taux de participation des étrangers fut de 23,2 % lors des Municipales de 2020, celui des Portugais, des Espagnols et des Kosovar se situant à moins de 20 %, celui des Britanniques, des Français et des Allemands à plus de 30 %. D'où vient que les étrangers votent, sauf exceptions nationales, moins que les Suisses ? Le même constat a été fait à Neuchâtel, où ils disposent aussi du droit de vote cantonal et d’éligibilité municipale, on peut se dire que l'étendue des droits ne suffit pas à leur usage. Des universitaires genevois et neuchâtelois ont tenté de comprendre les raisons de cette abstention massive, et évoquent un sentiment d’instabilité lié au fait même d'être étranger (alors que seuls les étrangers détenteurs d'un permis d’établissement, qui offre de solides garanties de pérennité, disposent du droit de vote), un sentiment aussi d'être la "cible d'attitudes et de comportement discriminatoires" ce qui provoque un "faible attachement à la Suisse" et à son fonctionnement politique, parallèlement à un réel attachement à leur pays d'origine (lecture de sa presse, suivi de son actualité, y compris politique)... et enfin, absence d'une réelle politique d'intégration. Plusieurs autres explications, cumulatives, sont possibles : un taux de formation, un niveau de revenu et un âge plus bas (la participation électorale, en effet, augmente avec le niveau de formation, le revenu et l'âge, quelle que soit la nationalité du votant). Une enquête de l'Université de Genève suggère un facteur explicatif supplémentaire : le désir de retour au pays, très prégnant chez les Portugais.  Et plus fondamentalement, la participation des étrangères et des étrangers aux scrutins municipaux est influencée par les mêmes facteurs que celle des Suisses : l'âge, la formation, le niveau de vie. Plus jeune, moins universitaire, moins riche que la population suisse, la population étrangère vote moins qu'elle. Ce qui ne signifie pas qu'elle soit politiquement et socialement moins active. L'étude universitaire note en outre que les Espagnol.e.s et les Portugais.e.s participent plus, ou souhaiteraient le faire, sur des sujets les concernant directement, comme par exemple le salaire minimum. Or il s'agit d'un sujet de compétence cantonale, sur lequel ils n'ont pas à Genève le droit de se prononcer par un vote. Dès lors, la question se pose de deux manières différentes, mais non exclusives l'une de l'autre : donner ou non aux étrangers un droit de vote au plan cantonal, ou ouvrir, aux étrangers comme aux Suisses,  des possibilités de participation politique ne passant pas par le vote...

Et puis, le taux d'abstention des étrangers là où ils disposent de droits politiques devrait-il justifier le refus de ces droits ? Conteste-t-on le droit de vote des Suisses au prétexte que la moitié d'entre eux ne s'en sert pas ? remet-on en cause le droit de vote des femmes, des pauvres, des catholiques, au prétexte qu'elles et ils l'exercent moins que les hommes, les riches et les protestants ?

Dans un an, aux élections municipales, les étrangères et les étrangers pourront voter. Il y a un an, aux élections cantonales, ils ne l'ont pas pu. Et ils ne l'ont pas pu hier : le vote était cantonal. Mais les femmes ne pouvaient pas voter en 1960, ni les pauvres en 1848. Combien de fois aura-t-il fallu convoquer les hommes pour qu'ils finissent par se résigner à accorder aux femmes les droits politiques qu'ils avaient eux-mêmes conquis ? Et combien de révolutions aura-t-il fallu fomenter pour qu'ils les conquièrent eux-mêmes, ces droits, les hommes ? Et que les plus riches les concèdent aux moins riches ?

En parlant de la construction de la démocratie, on parlait la semaine dernière d'une longue marche. On parlera aujourd'hui d'un travail en cours. Depuis des siècles. Le combat continue, on ne baissera pas les bras : "Essayer encore. Rater encore. Rater mieux" (Samuel Beckett)

Commentaires

  1. Cher Pascal,
    impeccable analyse qui ne souffre à mon hmble avis que de deux défauts plutôt par omission et compte tenu qu'on ne peut tout dire dans un article. Le premier est de ne pas mentionner que le droit de vote municipal reste pour les non-suisses considérablement étriqué, peu fréquent et tout compte fait peu motivant de ne consister essentiellement que d'élections quinquennales de suisses. Le second est de ne tenir aucun compte, dans l'analyse des résidents étrangers, à côté de ceux qui veulent rester attachés à leurs origines et songent à y retourner à terme, des expatriés momentanés même pour plus de 8 ans que sont les titulaires de cartes de légitimation et leur entourage, ou encore les professionnels étrangers mutés en Suisse, tout de même importants dans la Genève internationale (au Cern p.ex. ou les ONG) , pour ne se focaliser que sur les travailleurs de secteurs plus populaires.
    Bien à toi
    Bien

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