Sommet en Suisse pour la Paix en Ukraine : Ni Bürgenchoc ni Bürgenflop

 

La Suisse veut faire la paix en Ukraine. Bonne idée -mais peu de moyens. Elle invitait à un sommet samedi et dimanche au complexe hôtelier de luxe du Bürgenstock (propriété d'une chaîne qatarie), au-dessus du lac des Quatre-cantons, juste après celui du G7 à Rome (qui a accordé  à l'Ukraine un prêt de 50 milliards de dollars, garanti par les intérêts des avoirs russes gelés).. Qui était invité ? Volodymyr Zelenski, bien sûr, et autour de lui, beaucoup de monde : Une centaine de délégations (d'Etats et d'ONG) étaient attendues, dont la moitié représentant des pays du "Sud global"... mais pas la Russie, pas invitée et qui de toute façon avait refusé avant même de l'être : la Suisse n'est plus neutre, pour Moscou.  La Chine était invitée, mais a décliné l'invitation (comme le Brésil) puisque la Russie n'était pas invitée. Pourtant, aucune paix en Ukraine ne se fera sans la Russie, à moins de croire qu'on puisse la défaire sur le champ de bataille terrestre, aérien, maritime, spatial et numérique. L'Inde était représentée, a minima, mais est restée silencieuse, et des amis présentables de la Russie étaient également présents (mais ils n'ont pas signé le communiqué final). Et les Etats-Unis étaient représentés par leur vice-présidente, mais le Brésil et l'Afrique du Sud étaient absents.  A en croire le Département fédéral des Affaires étrangères, cette conférence n'était pas une conférence des amis de l'Ukraine. Vraiment ? Volodymyr Zelenski aurait tort de  considérer comme un "grand succès" que quatre-vingt-quatre  délégations sur cent signent un communiqué le soutenant et soutenant son pays ? La paix en Ukraine n'est pas née sur le Bürgenstock, son document final n'est contraignant pour personne, mais si la conférence avait été inutile, pourquoi diable la Russie la dénoncerait-elle ? Et pourquoi diable l'UDC y ferait-elle si complaisamment écho ?

L'image de la conférence du Bürgenstock fut belle, mais que dit-elle ?

"C'était la première fois que la Suisse recevait autant de chefs d'Etat et de gouvernement", du moins depuis la fin de la Société des Nations. La Suisse n'aurait-elle rien tenté pour la paix en Ukraine qu'on le lui reprocherait, à raison. Alors, elle a tenté. Et elle a eu raison de tenter, même si la proposition initiale de tenir un sommet venait du président Ukrainien, l'année dernière. Ce qui est sorti de cette conférence "au résultat timide", selon "Le Monde", n'est pas négligeable -mais pour autant, n'a rien de décisif. On n'en attendait d'ailleurs pas tant. Le Bürgenstock est une étape, rien qu'une étape -mais une étape vers quoi ? Et d'autres conflits que celui né de l'agression russe contre l'Ukraine ne mériteraient-ils pas pareille attention ? le président chilien, Gabriel Boric, pour qui l'objectif du sommet était, au-delà même de l'Ukraine, la proclamation de la nécessité de respecter le droit international, a relevé le "deux poids, deux mesures" dans l'attitude des "Occidentaux" à l'égard de la Russie et d'Israël...

Au Bürgenstock, on aurait pu débattre de tous les plans de paix, et pas seulement celui de l'Ukraine (le plan en dix points de Zelensky) -celui de la Chine aussi. Mais la Chine n'était pas là. Pas officiellement, du moins. On devait aussi discuter (et on l'a fait) de sécurité alimentaire, de sécurité  nucléaire, de sécurité humanitaire. Au bout du compte, 79 pays et quelques ONG ont signé un communiqué final qui évoque la nécessité d'un dialogue avec la Russiele plus dur reste à faire : l'ouvrir, ce dialogue, avec un pays qu'on n'a pas invité à la conférence, qui n'avait de toute façon aucune intention de s'y rendre et qui n'a pas d'autre plan de paix que celui d'une capitulation de l'Ukraine  -la veille du sommet suisse, Poutine posait ses conditions à un cessez-le-feu : le renoncement de l'Ukraine à l'adhésion à l'OTAN, l'imposition à l'Ukraine d'un statut de neutralité permanente ez l'abandon à la Russie des régions de Kherson, Zaporijia, Louhansk et Donestzk (Zelensky, lui, exigeait l'abandon de la Crimée par la Russie...).

Pour que cesse le conflit, doit-on tout tenter, sans "ligne rouge", sans condition aucune ? La plupart des participants à la conférence du Bürgenstock ont signé un texte final qui reste en deçà d'une déclaration commune, et en deçà des résolutions déjà votée par l'ONU, et qu'aucun représentant des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) n'a signé). Les signataires sont partisans d'un dialogue avec la Russie mais sur la base du droit international (dont Poutine se contrefout) et de la Charte de l'ONU (que les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité, dont le Russie et la Chine, interprètent à leur guise). Le document final évoque l'objectif d'une paix juste et durable, insiste sur le respect de l'intégrité territoriale de l'Ukraine (mais ne fait pas mention d'une agression russe contre cette intégrité) et fixe trois objectifs concrets (qui avaient déjà été évoqués avant la conférence)  : assurer la sécurité alimentaire par la levée des entraves au commercer et au transport, ramener en Ukraine les prisonniers de guerre ukrainiens (et en Russie les prisonniers de guerre russes, les 5400 civils ukrainiens emprisonnés dans les territoires occupés par les Russes,  mais aussi les 20'000 enfants ukrainiens déplacés de force en Russie, assurer la sécurité nucléaire, notamment à Zaporijia. Le Département fédéral des Affaires étrangères l'avait d'ailleurs posé ainsi : "élaborer des éléments pratiques et définir les étapes en vue d'un tel processus". Car la Suisse se considère toujours comme une médiatrice possible, alors que la Russie dénonce son alignement sur l'OTAN et que l'UDC geint sur la perte d'une neutralité qui a toujours tenu bien plus d'un mythe que d'une conduite réelle.

Enfin, une fois la guerre finie, il va falloir reconstruire l'Ukraine. La Suisse entend y contribuer à hauteur de cinq milliards en douze ans. Mais un milliard et demi de ces cinq milliards seraient ponctionnés sur le budget de la coopération internationale sans qu'il soit augmenté d'autant, ce qui signifie qu'on va couper dans la coopération au développement, notamment dans celle avec l'Afrique subsaharienne, et qu'à partir de 2025, l’Ukraine à elle seule recevra davantage que tous les programmes dans cette immense région et ses dizaines de pays. Alliance Sud, la Croix Rouge suisse et le PS ont dénoncé ce mécanisme.

L'image de la conférence du Bürgenstock fut belle, mais que dit-elle ? Qu'organiser une conférence internationale, la Suisse sait le faire ? On le savait déjà. Que contribuer à la reconstruction d'un pays dévasté par la guerre, elle veut bien le faire, aussi ? Sans doute, mais pas trop. Juste ce qu'il faut. En le faisant payer le plus possible par d'autres budgets -ceux de la coopération au développement et de l'aide humanitaire par exemple. Une solidarité en forme de jeu à somme nulle. Contrairement à la somme des profits tirés  du négoce des matières premières, dont la Suisse est toujours une plaque tournante et qui alimente la machine de guerre russe...

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