"Une vie ici, une voix ici"
Plus de 40 % de la population genevoise est de nationalité étrangère, et la Ville de Genève abrite une population dont presque la moitié (49 %) est de nationalité étrangère. Une proportion assez stable, de gens qui travaillent à Genève, y paient des impôts, y financent et utilisent les infrastructures, mais n'y votent et n'y élisent qu'au plan municipal (depuis 2005), et ne peuvent être élus. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir depuis des années tenté de les intégrer au corps électoral cantonal. En 2012, la constituante a refusé de leur accorder le droit d'éligibilité, en 2021 le Grand Conseil refusait de leur accorder les pleins droits politiques municipaux et cantonaux (voter, élire, être candidats, signer des référendums et des initiatives populaires). En 2022, ne se résignant pas à ces refus, un front de partis politiques, de syndicats et d'associations lançait et faisait aboutir l'initiative "Une v ie ici, une Voix ici... Renforçons notre démocratie" (ViVoICI). C'est sur elle que le peuple genevois de nationalité suisse se prononcera dimanche. Sur elle, et donc sur la démocratie.
Quel espace politique est le plus démocratique ? Celui où la majorité de la population dispose du droit de vote et d'élection, ou celui où elle en est privée ?
Dimanche soir, on saura comment se porte la démocratie à Genève. Ou plutôt, comment se porte le sentiment démocratique de la portion (minoritaire) de la population genevoise qui dispose du droit de vote cantonal : on va lui demander si elle est d'accord d'octroyer, souverainement, les droits dont elle dispose à des dizaines de milliers d'habitantes et d'habitants du canton qui en sont privés faute de la bonne couleur de passeport. C'est une longue marche que celle amenant à une démocratie où la majorité du peuple disposerait des droits politiques, ce qui pourtant devrait être la définition même de la démocratie. Et il y en a toujours eu, et sans doute y en aura-t-il toujours, pour supplier ou tempêter qu'on l'interrompe, cette longue marche. Qu'on en reste là où on est déjà si péniblement arrivé. Jusque là, mais pas plus loin. A Genève, il aura fallu attendre 1798 pour que les catholiques obtiennent les droits politiques dans le champ où ils étaient concédés à l'époque, puis 1846 pour que les pauvres (les non-propriétaires) y accèdent, 1961 pour que les femmes en disposent, 2006 pour que les étrangers et les étrangères puissent en jouir (et encore, partiellement) au plan municipal. Pourront-ils et elles en jouir désormais au plan cantonal ? Cela ne dépend que de celles et ceux qui en jouissent déjà, comme il dépendait en 1846 des riches que les pauvres en jouissent, en 1961 des hommes que les femmes y accèdent et en 2006 des Suisses du canton que les étrangers des communes puissent y voter.
Accrochée à la nationalité de naissance ou par
naturalisation comme un morpion à un entrejambe, la droite nous
prêche encore que la citoyenneté active doit rester rivée à la
nationalité formelle. Comme elle prêchait naguère qu'elle devait
l'être au sexe, ou à la propriété, ou à la religion, ou aux
trois à la fois. Comme si la citoyenneté relevait du tribalisme.
Mais d'où diable ai-je tiré mes droits politiques, moi ? d'un
examen de ma compatibilité avec les "valeurs nationales" ? Non
: des couilles paternelles. Par quel effort les ai-je conquis,
mes droits politiques ? aucun. Qu'ai-je fait pour les obtenir ?
je suis né. Rien d'autre ? Rien d'autre, comme en faisait
reproche Figaro au comte. Je suis indigène, qu'y puis-je ? Rien,
c'est ainsi. Mes droits politiques, je les ai acquis sans
jamais avoir fait pour cela le moindre effort, sinon celui de
naître. La nationalité par le droit du sang, c'est une
nationalité par droit du sperme. Et la nationalité par la
naturalisation, c'est une nationalité par le fric : vous recevez
une aide sociale ? pas de naturalisation possible.
Sans doute la démocratie ne se résume-t-elle pas
aux droits de vote, d'élection et d'éligibilité (des milliers d'étrangères et d'étrangers sans droits
politiques institutionnels sont engagés dans des associations,
des syndicats, des mouvements de base -et même dans des partis
politiques) mais sans ces droits, elle
reste amputée. Et ce n'est pas pour rien que chaque
élargissement du corps électoral, chaque dépassement de ses
limites, a été au moins la revendication réprimée (souvent
brutalement, parfois sanguinairement) de mouvements sociaux
considérables faisant usage de ces autres droits démocratiques
fondamentaux que sont les manifestations, les grèves, parfois
les insurrections et finalement, si rien de tout cela n'a
abouti, des révolutions. Comme à Genève en 1782, en 1794, en
1846.
Il n'y a pas plus de raison aujourd'hui pour qu'à Genève la citoyenneté active reste liée à la nationalité qu'il y en avait en 1798 pour qu'elle le reste à la religion, en 1846 à la propriété foncière, en 1961 au sexe. Elle doit l'être pleinement à la résidence cantonale comme elle l'est déjà, partiellement, à la résidence communale. Et comme elle l'est déjà dans le Jura et à Neuchâtel. Plus de 200 professeur-e-s, chercheurs-euses, médecins et artistes genevois-es (la liste des signataires est disponible surhttps://mailchi.mp/sit-syndicat.ch/appel-des-200?e=a67f0bcb62) ont donc signé un appel en faveur de l'octroi à Genève des droits politiques cantonaux aux résident-e-s étrangers-ères.
L'an prochain, en Ville de Genève, une majorité
de la population aura le droit d'élire le Conseil municipal et
le Conseil administratif, parce que les étrangers en ont le
droit. L'an dernier, dans le canton de Genève, seule une
minorité de la population a eu le droit d'élire le Grand Conseil
et le Conseil d'Etat, parce que seuls des Suisses et des
Suissesses en ont le droit (et que, comme les étrangers lors de
sélections municipales, ils ne sont qu'une minorité à en faire
usage).
De la commune et du canton, quel espace politique
repose à Genève sur l'assise démocratique la plus large (et
quels élus sur la légitimité démocratique la plus grande ? Celui
où la majorité de la population dispose du droit de vote et
d'élection, ou celui où la majorité de la population en est
privée ?
Dis Tonton, c'est encore loin, la démocratie ?
Tais-toi et vote. Si tu peux.
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