AVS21, LPP : voter la tête dans un sac de chiffres
A 14 milliards près...
Combien de Suissesses et de Suisses ont-ils (et
elles) voté en 2022 pour la "réforme" de l'AVS (AVS 21) la tête
dans un sac obligeamment fourni par l'Office fédéral des
assurances sociales (OFAS) sous forme de prévisions calamiteuses
sur le financement de l'AVS ? Ces prévisions, a admis cet été
l'OFAS, étaient fausses -et pas de peu : d'un milliard en 2028,
de deux milliards en 2030, de quatre milliards en 2033, de
quatorze milliards de 2027 à 2033. Ces milliards, ce sont ceux
qui, selon l'OFAS, devaient manquer à l'AVS, et qui ne les lui
manqueront pas. La situation financière du premier pilier du
système suisse d'assurance-vieillesse est donc bien meilleure
qu'annoncé, et ses besoins de financement bien plus bas que
tocsiné ("les recettes ne suffiront bientôt plus à couvrir
toutes les rentes", assurait l'alors Conseiller fédéral Alain
Berset...). Et donc bien plus basse était aussi l'urgence de
voter un report de l'âge de la retraite des femmes, qui était au
coeur du projet AVS21. De plus, les
économies qui devraient être réalisées grâce au relèvement de la
retraite des femmes et à l'affectation à l'AVS d'une hausse de
la TVA, étaient plus faibles que les erreurs de prévision de
l'OFAS : la brochure officielle affirmait qu'AVS21 permettait
une économie de 4,9 milliards de francs jusqu'en 2030, mais
l'erreur de prévision de l'OFAS surestimait
le déficit de 10,1 milliards à cet échéance. Autrement dit :
l'économie présentée comme indispensable ne se justifiait pas.
Et le vote est assez lourdement entaché par l'erreur de l'OFAS
pour qu'il soit légitime d'en exiger l'annulation.
Ce qu'un vote a (mal) fait, un nouveau vote peut
le (bien) défaire
La lourde bourde commises par l'Office fédéral des
assurances sociales concernant les perspectives de financement
de l'AVS remet en cause le résultat de la votation sur AVS 21,
puisque ces perspectives, très négatives selon les chiffres de
l'OFAS, avaient été largement utilisées pour justifier ce report
(comme elles le sont à chaque fois qu'une réforme de l'AVS est
soumise au peuple) : le message du Conseil fédéral présenté au
Parlement en 2019 ainsi que le livret d’informations
pour la votation de septembre 2022 sur AVS21 se basaient sur des
documents liés aux formules erronées utilisés par l'OFAS. De plus, l'OFAS a mis deux mois pour avertir la
Conseillère fédérale Baume-Schneider (qui
a ordonné l'ouverture d'une enquête administrative) de son erreur, la laissant lancer la consultation sur
le financement de la 13e rente AVS sans qu'elle sache que les
projections de l'OFAS sur le financement de l'AVS étaient
fausses. Il est donc pour le moins
vraisemblable qu'une majorité des votants auraient refusé le
report de l'âge de la retraite des femmes en 2022, comme les
femmes elles-mêmes l'avaient fait (ce report leur a été imposé
par une majorité d'hommes) -du moins celles qui avaient le droit
de vote et l'avaient utilisé : des centaines de milliers d'entre
elles n'en disposaient pas, étant de nationalité étrangère même
quand elles sont nées en Suisse...
Les Verts et les Femmes socialistes demandent un
nouveau vote sur le report de l'âge de la retraite des femmes,
et pour l'obtenir ont, avec le soutien de l'Union Syndicale,
déposé recours contre la votation. Des recours ont été déposés
dans les cantons de Genève, Neuchâtel, Berne et Zurich (les
cantons sont la première instance dans une procédure de ce
type), pour pouvoir porter ensuite l'affaire devant le Tribunal
fédéral, après que les cantons se soient déclarés incompétents
puisqu'il s'agit d'une votation fédérale. "Les femmes se sont
fait voler une année de retraite" par un vote populaire acquis
de justesse (50,6 % de "oui", les femme
ayant voté "non") après avoir été
lourdement influencé par la diffusion des projections foireuses
de l'OFAS, résume la présidente des Verts, Lisa Mazzone. Et pour
l'Union Syndicale, "le processus de formation de l'opinion se
serait déroulé autrement sans les erreurs de calcul" de l'OFS.
Pour les Verts et les Femmes socialistes, il faut donc revoter.
Pour le PS, il faut abandonner les "plans de démantèlement de
l'AVS", puisqu'à long terme, le financement de l'assurance est
bien plus solide que ce qui avait été annoncé (rien qu'en 2023,
les comptes de l'AVS ont bouclé sur un excédent de 2,9
milliards...). L'Union Syndicale exige de son côté que la 13e
rente AVS soit versée dès 2025,et non plus seulement en 2026.
Si les recours n'aboutissent pas, si le Tribunal
fédéral, au bout du compte (voire la Cour européenne des droits
de l'homme puisque le droit de pouvoir voter en toute
connaissance de cause a été violé) ratifie un vote acquis sur
une erreur de 14 milliards de prévisions, c'est peut-être à une
initiative populaire fédérale qu'il faudra recourir : ce que le
vote du peuple (mâle) a (mal) fait, un nouveau vote peut (bien)
le défaire... "Le Matin Dimanche" titrait, hier :"les prévision
s et les statistiques sont toujours politiques". En effet. Et
quand une politique se base sur des prévisions fausses, cette
politique est fausse.
En attendant, dans un mois, on votera sur la "réforme" du 2e pilier. L'Union Syndicale
résume : "Les mêmes qui ont
propagé pendant des années le démantèlement de l'AVS avec de
faux scénarios avancent des chiffres irréalistes pour
expliquer qu'il faut baisser les rentes des caisses de
pension. Il faudrait payer plus pour toucher moins à la
retraite – alors que les caisses de pension ont accumulé des
réserves plus élevées que jamais. Il est plus important que
jamais de donner un signal clair contre cette arnaque de la
LPP". Car ce sont bien des projections
financières qui, pour l'AVS comme pour la LPP, justifient, selon
leurs partisans, des mesures comme, s'agissant de l'AVS, le
report de l'âge de la retraite des femmes et, s'agissant de la
LPP, la baisse du taux de conversion du capital accumulé en
rentes. Par les mots de Pierre-Yves Maillard, cela se dit ainsi
: "Depuis trente ans, on (dit aux retraités) : vous devez payer
plus et recevoir moins. On a de l'argent pour tout, sauf pour
vous". Et quand les projections financières sur la solidité d'un
pilier se révèlent fausses, de lourd doutes pèsent forcément sur
les projections financières sur la solidité de l'autre pilier.
Et même sur d'autres sujets soumis à nos votes, comme
l'extension des autoroutes : là encore, ce sont des chiffres
obligeamment fournis par nos zautorités (là, sur l'utilité
économique des autoroutes) qui sont utilisés pour nous
convaincre de voter comme elles nous le recommandent. Des
chiffres sur lesquels, désormais, il est légitime de laisser
planer un mélange de doutes et de suspicion, synthétisable dans
un précipité référendaire : un vote "non".
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