"Pas de Suisse à 10 millions d'habitants", vraiment ?
Rendez-vous dans cinq ans
Fin 2023, la population suisse s'élevait à 8,962 millions d'habitants. On peut donc considérer que fin janvier 2024, elle avait déjà atteint les neuf millions. En un an (2023), la Suisse abritait 147'000 personnes de plus. A ce rythme elle aura atteint les dix millions d'habitants en 2030. Et alors ? Alors rien. Sinon que l'UDC a lancé et fait aboutir une initiative dont le titre est aussi proclamatoire que gesticulatoire : "pas de Suisse à 10 millions" d'habitants. La droite de la droite (pour user d'un euphémisme) demande qu'une fois passée la barre des 9,5 millions d’habitants (et tout indique qu'on y sera fin 2027), les personnes admises à titre provisoire ne puissent plus obtenir aucun droit de rester en Suisse: ni d'autorisation de séjour ou d'établissement, ni de nationalité suisse. Et si ça ne suffit pas, il faudrait résilier l'accord de libre circulation avec l'Union Européenne (qui permet aussi aux Suisse de s'établir librement dans les pays de l'UE). Et se débrouiller avec la population active résidente pour faire fonctionner l'économie et les services publics, dans un pays vieillissant qui manque de main d'oeuvre et doit déjà user de travailleuses et de travailleurs habitant au-delà de la frontière. Frontière que l'UDC veut (une nouvelle initiative le propose) faire garder en généralisant les contrôles à l'entrée en Suisse. A Genève, où tous les jours 100'000 travailleuses et travailleurs frontaliers la passent, la frontière, sans être contrôlés parce qu'il n'est matériellement pas possible de le faire, ça promet...
Soyons entre nous. Grabataires, mais entre nous.
L'UDC a mis une "ligne rouge" (et blanche) à dix millions d'habitants ? Dans dix ans, il lui faudra la mettre à onze millions. Ou accepter l'emploi d'un million de frontaliers.Parce qu'à la fin de l'année dernière, la Suisse comptait déjà quasiment neuf millions (8,962 millions) d'habitantes et d'habitants, que sa population avait en un an augmenté de 147'000 habitants, que c'est la hausse annuelle la plus forte depuis soixante ans (+1,7 %) et que ça va continuer.
Cela posé, ce qui angoisse l'UDC, ce n'est pas le
nombre global d'habitants, c'est l'immigration. Fin 2023, plus
du quart (27 %) de la population de la Suisse était de
nationalité étrangère, le nombre de ressortissants étrangers
nouveaux était cinq fois plus élevé (121'000,
dont la moitié venaient d'Ukraine) que le
nombre de ressortissants suisses nouveaux (25'000) et
l'accroissement du nombre des premiers était... treize fois plus
élevé que celui des seconds (5,3 % contre 0,4 %). Et alors ?
Alors panique à (tri)bord. La panique excluant la raison, on ne
fera pas grief aux xénophobes de le rester, ni de ne pas
concevoir que l'immigration n'est pas sans lien avec la
croissance, le niveau de vie et le besoin de main d'oeuvre d'un
pays d'immigration, ni la situation (crises environnementales,
économiques et politiques, oppression, guerres) des pays
d'émigration. On ne leur fera même pas grief de leur amnésie :
ce n'est pas qu'ils oublient que la Suisse est, depuis la fin de
la Guerre mondiale il y a quatre-vingt ans, un pays
d'immigration (elle l'était d'émigration pendant tous les
siècles précédents, à l'exception notable des temps de guerres
de religion entre chrétiens), c'est qu'ils ont décidé de ne pas
le savoir. L'exemple britannique,
pourtant, pourrait les édifier : une majorité des Britanniques
ayant voté pour le Brexit l'ont fait pour réduire l'immigration
-or elle n'a jamais été aussi forte que depuis que le
Royaume-Uni a quitté l'Union Européenne. Parce que l'économie
britannique en a un besoin vital.Et que ne pouvant plus y
répondre avec des ressortissants européens, elle le comble avec
des ressortissants africains et asiatiques des pays du
Commonwealth...
Pays d'immigration, donc, la Suisse est aussi un pays vieillissant : en 2023, elle comptait 1,73 million de personnes de plus de 65 ans (et on en est...), soit 2,3 % de plus qu'en 2022. Et un rajeunissement est fort peu probable -on peut tout juste espérer éviter un vieillissement continu -mais pour l'éviter, on ne peut guère compter que... sur immigration plus jeune que la population résidente. On compte d'ailleurs aussi dessus pour assurer la prise en charge, hospitalière ou à domicile, des habitants les plus âgés, à moins de se préparer à un pays où les centenaires (indigènes) seront soignés par des octogénaires (indigènes).
Au moins on sera entre nous. Grabataires, mais
entre nous.
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