T'as media ? Non, mais j'ai pognon
Pleurnicher ou agir ?
Tamedia a fait fort, mardi, en annonçant son plan d restructuration. Fort, et clair, et "radical", comme la fièrement proclamé sa directrice : la presse (dite par pléonasme "imprimée") on s'en fout, elle est condamnée, l'avenir est au numérique; la Romandie, on s'en fout tout autant (il n'y a d'ailleurs plus de directeur de Tamedia en Suisse romande depuis le départ de Christina Gabella, et sa directrice, l'Allemande Jessica Peppel-Schulz, ne parle pas français et se fait représenter par avatar quand elle daigne s'adresser à des Romands), Et Genève, on sait pas où c'est. Seule la Suisse alémanique compte. Tamedia, va donc fermer en 2025 et 2026 ses centres d'impression de Bussigny et de Zurich, les journaux du groupe seront imprimés à Berne et la suppression de 200 postes à temps plein au sein des imprimeries et 90 au sein des rédactions est prévue (c'est la plus grande suppression de postes depuis l'intégration, en 2019, de Tamedia à TX Group (qui avait déjà supprimé 56 postes il y a un an). Tamedia poursuit donc sa stratégie d'abandon progressif du papier (et donc de la presse) vers le numérique et les écrans : des titres sont déjà condamnés à la disparition comme journaux "intégrés sous un format numérique dans quatre grandes plateformes" régionales, dont une seule en Romandie : "24 Heures" (mais avec un "onglet" genevois...). Et on s'attend au regroupement des rubriques nationales et internationales en Alémanie, avec ce qui reste de titre romands devant se contenter d'articles traduits de l'allemand, en français fédéral. Au moins c'est clair. Maintenant, une seule question se pose : on réagit comment ? en pleurnichant ou en agissant ?
Il s'agit d'aider la presse, pas ceux qui la tuent.
Tout le monde (ou presque) regrette, proteste,
s'alarme. Ou fait semblant. Les premiers concernés,
journalistes, syndicats des media, quotidiens indépendants ou
dépendant de Tamedia et menacés de disparaître sont, évidemment,
les plus clairs : "une fois de plus, l'entreprise de presse se
concentre sur la maximisation des profits au lieu d'assumer sa
responsabilité sociale et d'investir dans le journalisme",
constate Syndicom. Les rédactions romandes de Tamedia dénoncent
un plan "mortifère", la rédaction de la "Tribune de Genève"
considère que "Tamedia veut tuer la Tribune de Genève" (meuh
non, répond Tamedia, un onglet "Genève"
perdurera sur le site "24 Heures"), celle
de "24 Heures" évoque une "journée noire pour la presse suisse
et romande en particulier". On notera tout de même une
contribution comique au débat : celle du directeur éditorial de
Tamedia, Simon Bärtschi, dans le futur supplément local de "24
Heures" (la "Tribune du bout du lac", donc) : le plan de son
entreprise est un "tournant pour le journalisme de qualité". Un
tournant, en effet, mais pour aller où ? au crématoire, dans le
fossé, contre un mur ?
Et maintenant, on fait quoi ? On propose quoi ?
Syndicom demande à Tamedia de revoir sa stratégie d'entreprise,
de conserver les imprimeries, de préserver les emplois, les
rédactions romandes appelle à une "révision" du plan du groupe ?
C'est sans espoir, Tamedia ne déviera pas de sa ligne, qui est
celle du groupe TX dont elle fait partie. Parce
qu'elle est tracée pour le profit (TX a fait 60 millions de
bénéfices en 2023, pour un chiffre d'affaire fleurtant avec le
milliard), pas pour le journalisme. Les
rédactions romandes de Tamedia en appellent à un "sursaut
citoyen et politique pour la sauvegarde d'une presse de
proximité et de qualité", mais on en est encore loin. Le
gouvernement genevois exprime sa "consternation", condamne
"fermement" le plan de Tamedia et exige (comme le gouvernement
vaudois) une rencontre avec Tamedia... mais n'ira pas plus loin.
Et à quoi peut bien servir de "rencontrer Tamedia", qui n'en a
strictement rien à secouer de la presse (imprimée) en général,
de la presse romande en particulier et encore moins de la
"Tribune de Genève". Les villes de Lausanne, de Genève et de
Bussigny sont "choquées" et inquiètes", mais ne proposent guère
plus que les gouvernements cantonaux. Celui de Genève exclut, par la voix de sa présidente PLR, de prendre des
mesures réellement efficaces, dont un financement public, pour
garantir «l’indépendance des médias», comme si un tel
financement menacerait cette indépendance,
comme si ce qui menaçait notamment la "Tribune de Genève"
n'était pas, précisément, sa dépendance à l'égard de
Tamedia. L'indépendance
de la presse n'est plus qu'une défroque dans laquelle se
drapent ou essuient leurs larmes de crocodiles celles et ceux
qui veulent bien geindre sur les coups portés à des journaux,
mais certainement pas agir pour les soutenir réellement : un
financement public de la presse ne menacerait
son indépendance que s'il bénéficiait aux groupes qui, comme
Tamedia, la réduisent à néant. Si ce financement est accordé
sous conditions de transparence et d'indépendance réelle, à
une coopérative de préférence à une fondation, il
ne menacerait que ces groupes. Surtout s'il permettait de
racheter les titres menacés, comme la "Tribune de Genève"), que
cependant Tamedia n'est pas plus disposée à vendre qu'Edipresse ne
l'était à vendre le titre "La Suisse" : garder le titre et n'en rien
faire, c'est tout de même éviter qu'une concurrence voie le jour.
Au Grand Conseil et au Conseil municipal de Genève, les socialistes ont déposé une résolution et une motion demandant notamment au gouvernement cantonal et à la Municipalité de "proposer des mesures de soutien financier en faveur du maintien des emplois, de la pluralité des médias locaux et de la qualité de l'information, notamment via la cession du titre la Tribune de Genève" (au Grand Conseil, la résolution a été largement désarmée par la droite, notamment par la suppression de toute demande de soutien financier -reste le soutien rhétorique). Le PS avait déposé il y a quelque temps un projet de loi pour la création d’une fondation d’aide à la presse. Ce projet avait malheureusement été balayé, mais le Centre a repris l'idée dans une résolution acceptée par le Grand Conseil. Chiche ? Il serait temps que le canton, ou la Ville prennent une nouvelle initiative de ce genre : il s'agit de soutenir la presse indépendante non seulement de l'Etat ou des partis politiques (qui n'ont d'ailleurs plus de presse quotidienne), mais aussi de groupes qui ne sont de presse que de celle qui pèse financièrement sur les rédactions. Et il s'agit de la soutenir et de soutenir les rédactions pour les contenus spécifiques qu'elles proposent -que chacun des titres à soutenir propose, et que lui seul propose.
Il s'agit d'aider la presse, pas ceux qui la tuent.
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