Nouvelle hausse des primes d'assurance-maladie: Quousque tandem, Lamal ?

Le constat est le même pour l'assurance-maladie que pour la prévoyance professionnelle : confier un élément de sécurité sociale (au sens générique du terme) obligatoire à des acteurs privés, caisses-maladie ou de retraites, c'est toujours se retrouver avec un système incontrôlable politiquement -et donc démocratiquement. On l'avait entendu dire, on l'avait lu écrire, l'année dernière, comme l'année avant-dernière à l'annonce de la hausse des primes d'assurance-maladie : ces hausses deviennent insupportables. On l'entend donc dire une fois encore, cette année et on doit sans doute se préparer à le ré-entendre l'année prochaine. Pour 2025, la hausse est de 6,5 % en moyenne suisse. Elle est de 6 % à Genève, mais de 8,9 % dans le Jura, et de 10,5 % au Tessin. Et à Genève, pour payer moins de 500 francs de prime mensuelle, un adulte de plus de 25 ans, sans accidents, devra assumer une franchise de 2500 francs. Et la question, année après année, reste la même : « Quousque tandem abutere, Lamal, patientia nostra? », jusqu'à quand le peuple des assurés, qui a refusé l'initiative socialiste qui lui proposait de plafonner les primes à 10 %, se laissera-t-il prendre en otage par les caisses et la pharma ? Jusqu'au vote d'une nouvelle initiative socialiste, cette fois pour une caisse unique, publique et sociale ?

Tant qu'on a la santé...

Les primes d'assurance-maladie ne seront pas plafonnées à 10 % du revenu disponible : ni le peuple ni les cantons (sauf en Romandie, au Tessin et dans les grandes villes) n'ont accepté l'initiative socialiste qui le proposait. Il y avait pourtant bien des raisons de l'accepter, cette proposition, quand le poids des primes maladie vient en tête, ou juste après, des préoccupations de la population.. D'abord, le principe décidé en 1996 d'une prime par tête : toutes les autres assurances sociales sont financées par des cotisations basées sur le revenu, ou par les impôts -eux aussi progressifs en fonction du revenu. On avait bien prévu que les cotisations d'assurance-maladie ne dépassent pas 8 % du revenu, mais on n'a rien fait pour que cela soit. En outre, les cantons sont de plus en plus nombreux à économiser sur les subsides permettant aux assurés les plus modestes de s'acquitter de leurs cotisations (l'assurance-maladie étant obligatoire) Un quart de la population bénéficie de ces subsides et les cantons doivent garantir des prestations de santé adéquates et abordables -mais comment ?

Lors de l'introduction de la Lamal, en 1994, le Conseil fédéral prévoyait que les primes d'assurance-maladie pèseraient en moyenne 8 % du revenu. Aujourd'hui, elles peuvent atteindre 20 % du revenu. La limitation du montant des primes à 10 % du revenu imposable aurait rendu le système un peu plus juste... mais pour les moins riches. Donc les plus riches n'en ont rien eu à secouer et ont voté contre. Pierre Yves Maillard résume : "cet impôt déguisé et sans limite ne fait mal ni aux riches ni aux entreprises, mais aux gens qui travaillent et à la classe moyenne. C'est pourquoi c'est le seul qu'on laisse augmenter chaque année".

Le secteur de la santé est un secteur étrange : il est régulé par l'Etat, mais ses acteurs privés décident eux-mêmes de prestations inutiles. Et quand les assurés ne peuvent plus s'acquitter de leurs primes d'assurance-maladie, c'est à l'Etat (aux cantons) qu'il incombe de les payer, totalement ou partiellement à leur place... et ainsi de permettre aux caisses de se faire concurrence et de payer grassement leurs gestionnaires. Dans presque tous les pays de l'OCDE, autour de 80 % des dépenses de santé sont financée par les impôts et les cotisations salariales, mais en Suisse, ce pourcentage tombe à 36 %, tout le reste étant à la charge de la population. La santé est un droit qu'on doit payer comme une marchandise, par des primes qui sont obligatoires puisque l'assurance l'est, mais qui sont aussi personnelles, par tête, et profondément injustes puisqu'elles sont fixes et ne tiennent aucun compte de la capacité financière des assurés : une travailleuse pauvre paie la même prime qu'un milliardaire... et si cette travailleuse pauvre est dans un ménage de quatre personnes, ce ménage paiera beaucoup plus que ce milliardaire -pour ne pas être mieux couvert ni mieux soigné.

Le 24 novembre, un projet avancé par les caisses-maladie mais combattu par un référendum syndical est soumis au vote populaire : le projet EFAS, qui prévoit en effet de fixer à 26,9% la part des cantons pour les hôpitaux, les soins aux aîné-es et l’ambulatoire. C’est un désengagement massif puisque ce pourcentage est aujourd’hui respectivement de 55% et de 43% en moyenne. La différence sera supportée par les primes. Santésuisse évalue ce transfert de l’impôt vers les primes à 4,9 milliards par an dès 2035 puis 9,6 dès 2040.

EFAS est surtout une perte de contrôle démocratique. Il prévoit de remettre aux caisses le pilotage et l'argent du système de santé. Aujourd’hui, les cantons financent directement les hôpitaux, les soins à domicile et les EMS. Ils peuvent décider quelles dépenses sont nécessaires pour garantir la qualité des soins. Avec EFAS, ils se limiteront à payer la facture que leur tendront les caisses-maladies. Une facture de 11 milliards que les cantons verseront chaque année aux caisses.

Les caisses pourront piloter le système dans leur intérêt qui est de vendre des complémentaires. Les assuré-es qui peuvent conclure et se payer une telle assurance accèderont aux meilleurs soins, les autres paieront plus de prime pour des soins dégradés. C'est cela, une médecine à deux vitesses. C'est cela, qu'il nous faut refuser, pas seulement l'augmentation des primes, mais l'instauration d'une médecine à deux vitesses, d'un système contrôlé par les caisses maladie. Un système suisse de santé à bout de souffle. 

Certains hôpitaux publics ne parviennent plus à se financer, une soixantaine de caisse privées se font concurrence en dépendant cinq ou six milliards par an pour leur publicité, leur fonctionnement ou le salaire de leurs directions générales, les coûts des médicaments et des soins ambulatoires explosent. En dix ans, les coûts de l'assurance-maladie obligatoire ont augmenté de 31 % (alors que les salaires ne progressaient que de 6 %) et en un an, de 2021 à 2022, les coûts du système de santé ont augmenté de 2,5 % (on estime à près de 5 % leur augmentation dans l'année suivante... et plus encore dans les seuls deux premiers mois de 2024) et ont atteint 91,5 milliards de francs (2,2 milliards de plus en un an), dont 32,6 milliards pour les hôpitaux (+2,6 %), 14.5 milliards pour les institutions médico-sociales (+3 %), 13,7 milliards pour les cabinets médicaux (+3,3 %). Les soins curatifs stationnaires ont coûté 2,2 % de plus, les soins curatifs ambulatoires 2,5 % de plus, les soins de longue durée et les prestations d'aide de 3,4 %, les "biens de santé" (médicaments, équipements) de 5,2 %. Quant au financement de ces coûts, ils reposent à 60 % sur les ménages et à 32 % sur l'Etat (Confédération, cantons, communes), les entreprises n'en couvrant que 5 %...

Il faut que le prix des médicaments baisse, que l'utilisation des génériques soit instaurée par défaut, que les soins de base et la prévention soient renforcés, que l'on privilégie l'installation de généralistes à celle de spécialistes, que l'on impose plus de transparence dans les salaires et le financement des caisses maladies privées, et que l'on crée une caisse maladie publique.

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