Le 15 Brumaire de Donald, jour du dindon démocrate
C'est le le 15 Brumaire que Trump a réussi son 18 Brumaire : Il n'a pas encore été désigné par les "grand électeurs" pour présider les USA, mais il en a suffisamment pour l'être, le mois prochain, et être intronisé en janvier : ce ne sont pas les Démocrates qui vont tenter d'empêcher la validation de son élection, comme lui et ses propres partisans le tentèrent il y a quatre ans de celle de Biden. Kamala Harris a reconnu sa défaite en proclamant qu'"un principe fondamental de la démocratie américaine, c'est que lorsque nous perdons une élection, nous acceptons le résultat". D'autant qu'il est incontestable. Et qu'il est celui que les Américains méritent : Trump à la présidence, ses créatures majoritaires à la Cour Suprême, son parti majoritaire dans les deux Chambres du congrès... et pour la première fois depuis Reagan, les Républicains majoritaires dans les urnes de la présidentielle... Qui est responsable du triomphe des uns et de la débâcle des autres ? Trump, bien sûr. Mais aussi, et peut-être même surtout, les Démocrates eux-mêmes. Le 5 novembre, c'est aussi le 15 Brumaire. Et le 15 Brumaire, c'est le jour du dindon. Et le dindon est démocrate. Et la farce républicaine.
"La sinistra in Europa non è da rinnovare, o da ricostruire, o da ripensare, o da ricomporre, ma da inventare. Radicalmente et dacapo"
L'élection de Trump à la présidence américaine
"tient à un fil", annonçait "Le Courrier" du 31 octobre -et
quasiment tous les media exprimaient la même conviction. En
fait, le fil était une corde, que tenait Trump. Lui-même est non
seulement élu pour la deuxième fois, mais le parti républicain
mis à sa botte a, sans doute pour la première fois depuis Abraham Lincoln, remporté la majorité des suffrages, la
majorité des sièges au Sénat et la majorité des sièges à la
Chambre. Ajoutez à cela une majorité trumpiste à la Cour
Suprême, vous avez le tableau d'une débâcle démocrate.
Un sociopathe milliardaire, brutal, inculte, injurieux et repris de justice a donc été élu, sans contestation possible, contre une candidate qui se présentait pour défendre la démocratie et l'honnêteté en politique. Et son élection, Trump ne la doit pas à la frange extrémiste droitière, raciste et religieuse de son électorat, mais au soutien d'un électorat populaire, qui ne retrouvait pas prise en compte l'urgence de répondre à la profonde crise sociale qui le frappe. Et à qui la défense de la démocratie, de l'honnêteté en politique, et même du droit des femmes à disposer de leur corps, importait moins que celle de leurs moyens d'existence, de leur droit au logement, de leur mode de se déplacer. Ils ont tort ? Facile à dire quand on n'est pas confronté à ce à quoi eux le sont. Les urgences sociales, climatiques, démocratiques ne s'excluent pas mais doivent se conjuguer ? Certes. Mais pour les conjuguer, il faut les reconnaître toutes, et les relier dans un projet organisé autour de propositions fortes, et pas seulement de grands principes consensuels. L'écrasante majorité des électeurs de Trump ne sont pas des adversaires de la démocratie, ni des demandeurs d'un Duce, d'un Führer ou d'un Caudillo, mais comment convaincre un prolo du middle-west de voter pour une candidate soutenue par George W. Bush et Liz Cheney plutôt qu'un candidat qui donne l'impression de parler, et promet d'agir, pour eux (alors qu'en réalité il les méprise absolument) ?
Que le "rendre l'Amérique à nouveau grande" (en
fermant ses frontières...) de Trump soit apparu comme une sorte
d'euphorisant pour tous ceux et toutes celles qui doutaient de
leur propre pays, de sa monnaie, de son modèle, de sa
démocratie, est sans doute navrant, mais certainement pas
absurde. Parce pour expliquer la victoire
de Trump, il y a autre chose que le talent de bateleur d'estrade
de Trump : il y a la rupture entre le parti démocrate et ce
qu'on continuera d'appeler le prolétariat. En 1980, 76 des 100 comtés où vivaient les plus fortes
proportion de diplômés de l'enseignement supérieur avaient voté
pour le Républicain Reagan. Quarante ans plus tard, 86 de ces
100 comtés votaient pour le Démocrate Biden.On n'a pas le
chiffre pour l'élection de dimanche dernier, mais il est
vraisemblable que Kamala Harris ait été encore plus que Biden la
candidate préférée de l'"élite" culturelle. Et comme la
proportion de diplômés dans la population nationale disposant du
droit de vote, tout comme celles des personnes étrangères est
croissance constante, Trump a choisi, et obtenu, de mobiliser
les autres : le prolétariat "blanc", indigène et masculin,
notamment dans les régions frappées par la désindustrialisation
(qui entraîne une désyndicalisation) où une part importante de
l'électorat ouvrier est passé du camp démocrate au camp
républicain, dans le même temps où un électorat républicain
(plutôt aisé) s'apprête à voter démocrate par détestation, ou
mépris, de Trump.
Rien, cependant, n'est désespéré : Trump n'est pas éternel (il a 78 ans), le trumpisme non plus, s'il peut lui survivre. Mais dans l'état où est le parti Démocrate aujourd'hui, la reconquête de son électorat populaire perdu reste un enjeu dont qu'il est incapable d'affronter, à moins de changer profondément, et radicalement. Et cet enseignement américain vaut pour la gauche européenne (et la gauche suisse), quand bien même considérer le parti Démocrate étasunien comme un parti de gauche est largement approximatif : tout au plus est-il moins à droite que le parti Républicain trumpisé. Moins à droite et, de toute évidence, mois adroit.
Il nous revient alors vieux de quarante ans cet avertissement de Paolo Flores d'Arcais, qu'on peut adresser aux Démocrates étasuniens, mais qu'on peut aussi nous adresser à nous-mêmes : "La sinistra in Europa non è da rinnovare, o da ricostruire, o da ripensare, o da ricomporre, ma da inventare. Radicalmente et dacapo".
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