Fonds de tiroir
On se souvient avec une émotion (contenue, quand même) de la deu-xième grande manif après le massacre de «Charlie Hebdo» et les tueries qui ont suivi. La deuxième, parce que la première on s'en souvient sans reten-ue, c'était la manif' populaire. La deuxième, c'était la manif' officielle. Avec autour de François Hollande une palanquée de chefs d'Etat et de gouvernement, dont Netanyahou, en même temps (mais quand même sépa-ré de lui par quelques autres émi-nences) que le président de l'autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Donc, Netanyahou défendait la liberté d'expression, la liberté de la presse, tout ça. Et ça faisait chaud au coeur. Mais vous savez ce que c'est, la chaleur, ça se dissipe: Après que le quotidien Haaretz ait éditorialisé sur «Israël est en train de perdre son humanité à Gaza» et publié une enquête détaillée et accablante sur les actes de l'armée israélienne occupant le «corridor de Natzarim», qui coupe la bande de Gaza en deux, le gou-vernement de Netanyahou a décidé de ne plus payer pour la publication dans Haaretz des messages, des annonces et des publicités d'Etat, histoire d' assécher les finances du quotidien malpensant. Manifester pour la liberté d'expression et s'en prendre à un journal dont on n'aime pas les prises de position, c'est quoi? de la schizo-phrénie? Ben non, c'est juste du cynisme, de la part d'un politicien qui se croit tout permis -et à qui, effectivement, ceux qui pourraient le contenir permettent tout...
Bon, Jean-Marie est mort. Il était temps, il avait 96 ans. Et le hasard, aveugle et bête, l'a fait mourir le jour même de la commémoration du massacre de «Charlie Hebdo». De sorte que, dès le lendemain, en France, on a plus parlé de Le Pen que de Charlie. Il avait réussi à unifier l'extrême-droite française, à rassembler vieux et néo-fascistes, vieux et néo-nazis, pétainistes, ca-thos intégristes et néo-païens, dans un parti à sa botte jusqu'à ce que sa fille l'en exclue et élargisse encore le champ de recrutement d'un Front devenu Rassemblement. D'un lepé-nisme à l'autre, il n'y a pas rupture mais continuité -d'ailleurs, le RN a rendu un hommage appuyé au fondateur du FN. Mais d'où est sorti Le Pen? De son milieu, de son temps. Il était raciste comme presque tout le monde et antisémite comme presque tous les catholiques français, il y a un siècle et xénophobe comme beaucoup de monde encore au-jourd'hui. Artisan de l'unification de l'extrême-droite française, il n'en était pas l'idéologue, s'il en fut tant qu'il le pouvait la figure de proue. Il n'a pas créé cette extrême-droite comme un élément constitutif du paysage politique français, elle l'était depuis deux siècles (pour ne pas remonter plus loin encore), il l'a cependant sortie de l'ombre où elle se tenait depuis la Libération de 1945. Pour le reste, ce bateleur fut aussi captateur d'héritage et tortion-naire pendant la guerre d'Algérie. Plusieurs responsables politiques de plus ou moins haut rang (dont le Premier ministre François Bayrou) ont cru nécessaire, à défaut d'un hommage funèbre qu'il ne méritait guère (l'extrême-droite s'en est chargée, logiquement), de déclarer qu'il avait «marqué» l'histoire poli-tique de la France. Pour un homme qui avait été élu député il y a cinquante ans et avait remis l'extrême-droite dans le paysage institutionnel, c'était une évidence. Emmanuel Macron, lui, a été plus sobre : «l'histoire jugera» Jean-Marie Le Pen. Sans doute, mais ce sera trop tard : la marque Le Pen est toujours à l'étal politique français, par héritage: après Jean-Marie, Marine et Marion... L'extrême-droite fran-çaise, qui était déjà une affaire d'argent, est désormais une affaire de famille. Comme la mafia, en somme.
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