"Une économie responsable respectant les limites planétaires", et puis quoi encore ?

On s'est à peine débarrassés des élargissements d'autoroutes qu'on doit voter le 9 février prochain sur l'initiative populaire fédérale lancée par les Jeunes Verts, pour la "responsabilité environnementale". Ce sera d'ailleurs le seul objet soumis au vote populaire. L'initiative exige que la Suisse respecte les limites planétaires dans un délai de 10 ans, c'est-à-dire respecte les seuils à ne pas franchir pour préserver les conditions de vie sur la seule planète qui, à notre connaissance (certes par définition imparfaite), abrite de la vie. Préserver la possibilité d'un climat vivable, la biodiversité, l'eau, l'air, la terre, c'est cela, respecter les limites planétaires. On pourrait y ajouter que ce serait aussi expédier Trump et Musk sur Mars, mais l'initiative ne le propose pas. On se prépare donc à voter, et à faire voter, "oui" à la "responsabilité environnementale". A Genève, l'initiative est soutenue par la gauche (les Verts, le PS, Ensemble à Gauche, l'Union Populaire, les syndicats) et combattue par toute la droite ("centre" y compris). Les opposants à l'initiative la dénoncent comme irréaliste et nuisible, le comité d'initiative estime qu'elle ne "demande que ce que devrait aller de soi" : "le bien être et la santé des humains", parce que "chacun a droit à des aliments sains, à une eau pure et à un air propre". Et puis quoi encore? Ah oui : "que notre économie cesse de détruire notre environnement". Bref, tocsinne le comité de droite et patronal qui combat l'initiative à Genève, les initiants ne sont que des "irresponsables" qui veulent "précipiter notre économie dans le vide"... La déraison tonne en son cratère...

Cesser de prendre le plus de temps possible pour n'aller nulle part

Que demande l'initiative "pour une économie responsable respectant les limites planétaires", dite "pour la responsabilité environnementale" ? Que les activités économiques de la Suisse n'utilisent de ressources(produites en Suisse ou importées) et ne produisent d'émissions polluantes que dans la mesure tolérable par l'environnement et les conditions naturelles de la vie. Les mesures prises (prescriptions, incitations, interdictions)  pour faire respecter ce principe, qui devrait être d'évidence, doivent être socialement acceptable. L'initiative donne dix ans à la Suisse pour s'assurer que la consommation en Suisse ne dépasse pas les limites planétaires, rapportées à la population de la Suisse (un peu plus d'un pour mille de la population mondiale). Le concept de limite planétaire définit le niveau de pollution et, plus largement, d'atteintes à l'environnement (changement climatique, dégradation de la biodiversité et des sols, perturbation des cycles chimiques etc...) que la planète peut supporter. Le dépassement de ces limites menace les conditions de vie (et, à terme, de survie) de l'humanité, et un pays les dépasse dans un domaine lorsque sa population exerce une telle pression sur l'environnement que si tous les humains se comportaient comme elle l'environnement ne pourrait plus se régénérer -or un pays comme la Suisse les dépasse toutes, dans tous les domaines.  alors même que sa constitution exige "la conservation durable des ressources naturelles". En réponse à l'initiative, nos sagaces autorités assurent, dans la brochure officielle de présentation de l'initiative, que "la Suisse a réalisé des progrès dans divers domaines environnementaux au cours des dernières décennies", qu'on y utilise les ressources naturelles de manière "plus efficace"" et que la consommation par habitant "affecte globalement moins l'environnement qu'il y a vingt ans". Mais, comme il ne suffit pas de rappeler la Constitution pour convaincre qu'on la respecte, et que le déni de réalité n'est tout de même pas un argument digne du gouvernement d'un Etat démocratique (même si le futur gouvernement Trump s'apprête à prouver le contraire), celui de la Suisse reconnaît tout de même que "les ressources naturelles comme l'eau, le sol et l'air continuent d'être fortement sollicitées" en Suisse comme ailleurs, "souvent à tel point qu'elles ne peuvent pas se régénérer". Alors pourquoi ne pas soutenir l'initiative ? Parce que, répondent nos peintres de diables sur les murailles, elle réduirait "fortement la consommation", augmenterait les prix de l'énergie et le coût des logements, réduirait la production alimentaire et provoquerait "un renchérissement de nombreux produits et services". Et un tsunami du Léman, aussi ?

Si on prend comme limite climatique celle eu 1,5° de réchauffement d'ici 2030, le 1 % des habitants les plus riches de notre planète ont déjà consumé en dix jours tout le budget carbone que cette limite leur accorde pour 2025, quand la moitié de la population humaine mettra trois ans à consumer ce que ce pourcent aura consumé en dix jours. Quand on évoque ce pourcent des "plus riches" qui sont aussi les plus incendiaires du climat, on évoque 77 millions de personnes qui gagnent chacune au moins 140'000 dollars par an -or ce n'est que le double du revenu moyen des Suisses...

Il faudrait deux Terre et demi si tous les habitants de la seule planète qui abrite des humains vivaient comme ceux de la Suisse (où chaque habitant consomme en moyenne 2,8 fois de services et de ressources environnementales que ceux et celles qui y sont disponibles par habitant).  Le Conseil fédéral lui-même estobligé de rappeler que "compte tenu de sa population" la Suisse dépasse les limites planétaire "notamment en ce qui concerne le climat, la biodiversité et l'azote". Pour autant, le Conseiller fédéral UDC Albert Rösti accuse les initiants de vouloir aller trop loin en trop peu de temps".

Il est vrai que lui et ses alliés sont plutôt du genre à prendre le plus de temps possible pour n'aller nulle part.

 




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