L'Europe condamnée par Trump à devenir adulte ?
Merci, Jumbo
Trumb déboule dans le conflit ukrainien ("cette guerre ridicule") comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, en se proposant de négocier directement avec Poutine, et donc en niant la souveraineté de l'Ukraine (que Poutine n'a d'ailleurs jamais reconnue). Une discussion sur l'Ukraine sans l'Ukraine, comme le sort de la Tchécoslovaquie avait été scellé en 1938 à Munich par l'Allemagne, l'Italie, la France et la Grande-Bretagne, sans la Tchécoslovaquie. Une discussion sur la sécurité de l'Europe sans les Européens ? Même la Chine considère que c'est absurde ("Cela se passe sur le sol européen, et l'Europe doit jouer un rôle important dans ce mprocessus", a déclaré son ministre des Affaires étrangères.... Les Européens, contournés, et même pas invités (du moins à ce stade) dans ces négociations potentielles, sont (ou font mine d'être) stupéfaits, choqués, indignés ? Ils sont pourtant les premiers responsables de leur marginalisation : Depuis trois quarts de siècle, l'Europe occidentale a confié sa sécurité aux Etats-Unis, face à l'Union Soviétique. Chacune des deux superpuissances s'est dotée d'un glacis européen, l'une en s'y imposant, l'autre en convainquant, plan Marshall aidant, les Etats Européens d'accepter une tutelle -il est vrai qu'ils n'avaient plus guère, dans l'état où les avait laissés la Guerre Mondiale, les moyens de la refuser. Mais 75 ans plus tard, ils n'en sont tout de même plus là. La démarche éléphantesque de Trump pourrait au moins avoir cette vertu de les réveiller. Et comme on n'en est plus à un paradoxe près, c'est le Secrétaire étasunien à la Défense, Pete Hegseth, qui a fort bien résumé un programme trumpiste dont l'Europe, si en était capable, devrait faire tout son miel: donner "la priorité à l'autonomisation de l'Europe pour qu'elle assume la responsabilité de sa propre sécurité"... L'Europe condamnée par Trump à devenir adulte ? Il serait temps. Et elle en a les moyens. Il ne lui en manque que la volonté. Et sans doute aussi la cohérence.
"Ce que j'ai conquis est à moi, ce que je n'ai pas encore conquis se négocie"
Que veut Trump ? la paix en Ukraine, fût-elle aux
conditions russes. Parce que la paix en Ukraine, c'est la fin de
l'aide américaine à la résistance ukrainienne à la Russie. Une
aide que Trump a d'ailleurs menacé de couper si l'Ukraine
refusait de négocier avec la Russie. Or, même si l'aide
européenne est, sauf dans le domaine strictement militaire, plus
importante qu'elle, l'aide américaine est vitale pour l'Ukraine,
qui perd du terrain face à la Russie (qui occupe 20 % de son
territoire ) et n'a plus guère de réserves en hommes à opposer à
un adversaire qui en a encore, même s'il les gaspille. Enfin,
l'aide américaine provient d'un seul Etat, alors que l'aide
européenne est, essentiellement, une somme d'aides nationales
accordées (ou non) par des Etats dont les choix divergent.
Trump fait donc le choix de servir le bortsch à la
Russie, en lui offrant par avance des concessions telles qu'on
se demande ce qui resterait d'important à négocier, Poutine
ayant assez bien pris la mesure de son
homologue pour en faire usage. Et que
veut la Russie ? Garder ce qu'elle a envahi, même si elle ne l'a
pas totalement conquis : le Donbass, la Crimée, les oblast de
Donetsk (encore contrôlé à 40 % par l'Ukraine) et de Zaporijia
(dont les Ukrainiens contrôlent encore la majorité du
territoire). Récupérer ce que les Ukrainiens ont conquis dans la
région de Koursk. Et une Ukraine démilitarisée, neutralisée,
sous contrôle russe, hors de l'OTAN et de l'Union Européenne. Or
empêcher l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN
est une chose (les USA y sont d'ailleurs opposés et l'étaient
déjà sous Biden), l'empêcher d'adhérer à l'UE en est une autre.
L'OTAN est un pacte militaire, l'UE un pacte politique. L'adhésion à l'une n'implique pas l'adhésion
à l'autre -et on peut même se demander s'il n'y a pas
contradiction entre l'une et l'autre -et même à l'intérieur de
l'une et de l'autre : la Turquie est dans l'OTAN, la Hongrie
dans l'Union Européenne et l'OTAN, l'une et l'autre jouent
contre le pacte dont elles sont membres (la Hongrie y jouant
même le rôle de pion de la Russie).
Poutine est sans doute prêt à négocier tout ce qui
lui indiffère pour gagner ce qui lui importe (c'est le vieux principe : "ce que j'ai conquis est à
moi, ce que je n'ai pas encore conquis se négocie"), et ce qui importe, c'est la vassalisation de
l'Ukraine. Et contrairement à Trump, il a le temps, et n'a même
pas besoin que la négociation aboutisse à quoi que ce soit : le
fait qu'elle s'engage est déjà une victoire, et plus longtemps
durera-t-elle, plus de temps la Russie aura pour se renforcer
sur le terrain -et dans les opinions publiques "occidentales"...
Les Etats-Unis menacent de couper leur aide à
l'Ukraine, et de l'abandonner aux Russes comme ils avaient,
sous les administrations précédentes, abandonné l'Afghanistan
aux talibans. L'Ukraine tente bien
d'acheter la pérennité du soutien américain par un accès à ses
ressources naturelles (notamment des terres rares), mais qui peut encore parier sur la fiabilité de l'alliance
avec les USA, et la disposition de ses gouvernants à tenir la
parole de leurs prédécesseurs ? Les
ministres des Affaires étrangères européens proclament qu'"il
n'y aura aucune paix juste et durable en Ukraine sans la
participation des Européens" ? Mais ni Trump ni Poutine n'ont
quoi que ce soit à cirer des Européens et d'une paix "juste et
durable" : celle des cimetières leur suffit -après tout, elle
est en effet assez durable, si elle n'est guère juste...
Après le cadeau que lui fait Trump, Poutine
n'aura-t-il pas réussi à faire du Donbass et de la Crimée ce que
Trump rêve de faire du canal de Panama et du Groenland ?
L'annonce trumpiste de négociations directes avec Poutine sur le
dos des Ukrainiens et des Européens est une bonne nouvelle pour
la Chine : la conquête par un Etat et par la force d'une partie
du territoire d'un autre Etat (voire, pourquoi pas, de cet autre
Etat lui-même) peut être légitimée. Taïwan n'a qu'à bien se
tenir.
Excellent article qui fait une bonne synthèse de la situation.
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