Refus de l'initiative pour la responsabilité environnementale : L'urgence d'attendre
On sait l'urgence environnementale. On sait aussi l'urgence sociale. On sait que l'une et l'autre sont indissociables. On sait depuis hier qu'à ces deux urgences, le peuple suisse vient d'ajouter une troisième : l'urgence d'attendre. Et d'ailleurs, on s'y attendait : les derniers sondages donnaient 32 % d'avis favorables à l'initiative des Jeunes Verts pour la "responsabilité environnementale"... et 94 % de refus côté UDC, 92 % côté PLR, 83 % au Centre. Seule la gauche soutenait l'initiative (que les femmes soutenaient plus que les hommes)... et la gauche pèse, en gros, ce que l'initiative a recueilli de soutien. Avec un peu plus de 30 % des suffrages et une participation médiocre mais pas calamiteuse, elle a donc été repoussée au plan national et dans tous les cantons. A Genève, toutefois, l'initiative a obtenu presque 42 % de suffrages et a été acceptée dans la majorité des arrondissements de la Ville (à plus de 61 % aux Délices, à presque 60 % à la Jonction), où il n'a manqué que 800 voix pour qu'elle soit acceptée (seule la différence de participation entre locaux de droite et locaux de gauche explique qu'elle ne l'a pas été). A Bâle-Ville, elle a été soutenue par presque 45 % des suffrages -on se retrouve d'ailleurs avec un peu partout le clivage habituel sur des enjeux environnementaux, entre les villes, les zones suburbaines et urbaines et les campagnes.
Encore une décennie, Monsieur le bourreau...
En une année, la Suisse consume deux fois et demi
ce que l'écosystème terrestre est capable de fournir : le 27 mai
dernier, elle avait donc consumé la totalité des ressources
renouvelables dont elle disposait pour toute l'année. Et pour
2025, on s'attend à ce que cette date du basculement soit encore
avancée. Si toute la population mondiale consommait autant de
ressources que la population suisse par tête d'habitant, il
faudrait deux planètes (habitables) et demie pour assurer le
renouvellement des ressources consommées. Et le fait qu'on ne
soit pas les pires gaspilleurs ne devrait pas nous rassurer :
les pires, ce sont les Qataris, dont l'empreinte écologique
équivaut à 8,7 Terres. Mais on fait pire encore en Suisse si on
ne tient compte que de nos relâchements de gaz à effet de serre
(par habitant.e) : on en relâche carrément neuf fois plus qu'on
devrait pour s'en tenir à la limite du tolérable sans
dégradation environnementale...
L'initiative repoussée hier par les citoyens
consommateurs suisses demandait que l'économie suisse, au sens
le plus large du terme "économie", respecte ces limites dans les
neuf domaines où elles ont été scientifiquement déterminées, et
qu'on dépasse lorsque les conséquences de ce dépassement
menacent l'équilibre de tout l'écosystème. L'initiative donnait
dix ans à la Suisse pour y arriver, parce que les dix prochaines
années seront décisives. D'entre les neuf domaines de
l'équilibre environnemental, sept sont dépassés au plan mondial
et cinq au plan suisse. On détaille ? On détaille : les deux domaines de l'équilibre environnemental où des
politiques volontaristes ont permis de maintenir les
conséquences des activités humaines dans les limites planétaires
sont ceux de l'ozone (le protocole de Montréal de 1987 a permis
de retrouver des valeurs proches des temps préindustriels) ce
qui prouve que si des choix courageux sont faits, il est
possible d'inverser les tendances les plus dangereuses. L'autre
domaine où les limites planétaires ne sont pas encore atteintes
est celui des aérosols (les particules d'origine humaine en
suspension dans l'air), mais ce pourrait n'être qu'une question
de temps, et la pollution de l'air cause déjà 4,2 millions de
décès prématurés. le limite climatique
est dépassée de 25 % au plan mondial, et la Suisse la dépasse de
dix fois. Quant aux autres domaine, la limite de l'acidification
des océans n'est pas encore atteinte, mais si rien ne change,
elle sera atteinte dans vingt-cinq ans. La limite d'usage des
sols est dépassée au plan mondial du fait de la destruction des
grands systèmes forestiers, et est bientôt atteinte en Suisse. Les limites de l'intégrité de la biosphère est dépassée
de dix à cent fois dans le monde (autrement dit, entre dix et
cent fois plus d'espèces vivantes que tolérable pour maintenir
la biodiversité de la planète y disparaissent chaque année dans
le monde, et quatre fois plus en Suisse pour y maintenir la
biodiversité). Les limites de l'eau douce potable sont dépassées
au plan mondial (plus de 10 % de la population mondiale en
manque), et de 2,7 fois au plan suisse. Les limites de la
dissémination de substances dangereuses pour la nature, la vie
et les écosystèmes, sont dépassées dans le monde et en Suisse.
Enfin, les limites du cycle biochimique sont dépassées de 2,4
fois dans le monde et de deux fois en Suisse.
Le comité de droite faisant campagne contre
l'initiative évoquait le risque d'un "effondrement de notre
économie" et "des conséquences désastreuses pour la
population"si elle était acceptée... et ça a bien marché : Au son de ce tocsin, les Suisses ont eu hier peur de
devoir prendre des mesures radicales (que l'initiative
n'imposait cependant pas) pour respecter les limites
climatiques. Ils ont eu peur de devoir renoncer à un modèle
économique et social fondé sur le consumérisme, mais la réalité
risque fort de les (et nous) rattraper (et de rattraper tout le
monde, même Trump et Musk). Et pour avoir hier refusé de prendre
des mesures un peu contraignantes dans un délai de dix ans, nous
risquons fort d'être condamnés à les prendre dans dix ans sous
une forme plus radicale et plus contraignante encore. De sorte
que, finalement, ce que la majorité des votant.e.s ont obtenu
hier pourrait bien n'être qu'un sursis, en n'exprimant qu'une
sorte de supplique : encore une décennie, Monsieur le
bourreau...
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