Une carte électorale allemande qui ressuscite la RDA
La nostalgie, camarades...
La carte électorale allemande
dessinée dimanche reproduit presque dessine, à quelques îlots
dissidents, la carte des deux Allemagne d'avant la chute du
mur : le territoire de l'ancienne RDA vote massivement pour
l'AfD -autrement dit, pour l'extrême-droite. Bel héritage du
stalinisme et de ses succédanés. La gauche et la droite
démocratique allemandes vont-elles devoir se battre pour
reconstituer la division qui satisfaisait tant François
Mauriac : "j'aime tellement l'Allemagne que je suis heureux
qu'il y en ait deux" ? L'une des deux est la perdante de la
Réunification. Et c'est elle qui a fait le succès (non la
victoire) de l'extrême-droite. Nationalement, la CDU-CSU sort
nettement en tête, avec 28,6 % des suffrages (soit moins que
ce qu'elle espérait, c'est-à-dire plus de 30 %), devant l'AfD
(20,8 %. moins aussi que ce qu'elle espérait), les
sociaux-démocrates du SPD (16,4 %), les Verts (11,6 %) et la
gauche de la gauche (die Linke) avec 8,8 % des suffrages. Les
libéraux du FDP (4,3 %) et les post-communistes de l'"Alliance Sahra Wagenknecht (4,9 %) sont
en-dessous du quorum et ne seront pas représentés au
Bundestag. Pas grand monde ne s'en désolera.
Prenez le temps (il en faut un peu, mais il ne sera pas perdu) de lire (ou de relire) l'"Esthétique de la Résistance" de Peter Weiss...
On se dirige donc en Allemagne vers
une nouvelle "grande coalition" entre la droite démocratique
et la social-démocratie (que le futur chancelier Merz a appelé à une alliance. Le
SPD, plus vieux parti allemand, a
connu sa plus lourde défaite depuis la chute du nazisme, mais
son chancelier actuel, Olaf Scholz, va rester diriger le
gouvernement jusqu'à
conclusion d'un accord de coalition. Et cette coalition aura
à son ordre du jour une rupture : celle du protectorat
américain. Dès le début de son existence, la République
fédérale allemande est sous parapluie des Etats-Unis. Même
fondatrice de l'Union Européenne (sous sa forme embryonnaire
de "Marché Commun" à six), l'Allemagne n'a jamais voulu d'une
défense européenne autonome. Et même l'invasion russe de
l'Ukraine ne l'avait pas fait changé d'avis -il aura fallu la
réélection de Trump et son annonce, ou à tout le moins son
intention, de se désengager de l'Europe (tout en continuant à
lui vendre des armes) pour que la question lui soit posée et
que les partis de gouvernement envisagent d'y répondre : Ie
futur Chancelier Friedrich Merz a déclaré vouloir "atteindre
progressivement l'indépendance vis-à-vis des Etats-Unis" grâce à une
"capacité de défense européenne autonome" (on dirait du Macron...), et a
dénoncé les ingérences de Vance et Musk dans la campagne électorale,
comme étant "pas moins dramatiques et drastiques, pour tout dire
scandaleuses" que celles de Moscou. Un discours tout à fait nouveau dans
la bouche d'un chef de la droite allemande...
Les futurs gouvernants allemands auront
aussi à répondre au déficit d’infrastructures efficaces
dans les transports, les voies de communication, l'équipement
des administrations, au manque de main d'oeuvre résidente
(le pays a besoin de centaines de milliers de travailleurs
immigrés pour tourner), et à une pauvreté qui frapper plus de
13 millions de personnes vivant avec moins de 1378 euros par mois. Or le
futur chancelier, Friedrich
Merz, et son parti, la CDU (la CSU en est la branche
bavaroise, plus catholique et plus conservatrice), défendent
sur presque tout ces thèmes des positions contradictoires de
celles du SPD : ils sont économiquement libéraux, socialement
pingres, culturellement conservateurs et tendanciellement xénophobes (au
moins par opportunisme) sur les questions
d'immigration...
Les commentaires sur les résultats
des élections allemandes de dimanche tartinent tous (ou
presque) sur le succès de l'extrême-droite, l'AfD (soutenue
de l'extérieur par Elon Musk et le vice-président étasunien J.D. Vance). Succès, certes, il y eut : avec
presque 21 % des suffrages, l'AfD fait le meilleur résultat
historique de l'extrême-droite depuis... 1933 ? Pour autant,
son score est loin de celui qu'elle espérait pour être
incontournable dans la formation d'un gouvernement qui devra
nécessairement être de coalition, puisqu'aucun parti, même pas
les vainqueurs de la CDU-CSU, n'aura de majorité absolue au
parlement. Et le score de l'AfD est largement inférieur à
celui, par exemple, du Rassemblement National français. Ou de
l'UDC suisse. Peut-être le passé de l'Allemagne explique-t-il
ce retard à l'allumage de l'extrême-droite, mais en même qu'il
l'explique, il le rend bien plus inquiétant : l'Afd, en effet,
s'inscrit explicitement dans l'héritage nazi, en substituant
les musulmans aux juifs comme objets de haine. Une simple
opération de ravalement de façade, qui n'avait pas empêché le
futur chancelier de tirer son parti sur la droite en rompant
le "cordon sanitaire" avec l'extrême-droite en votant avec elle une motion xénophobe au Bundestag, ce qui de toute
évidence n'a pas eu les effets escomptés (freiner la
progression de l'AfD, qui a gagné dix points de suffrages en
quatre ans), et a poussé des centaines de milliers de
personnes à manifester autant contre l'extrême-droite que
contre lui. Qui a finalement assuré qu'il ne constituerait pas une majorité avec l'AfD.
Quant au score de la gauche (SPD, Verts, Linke), il ressemble fort avec moins de 40 % (et des contradictions peut-être insurmontables entre SPD et Verts d'une part, die Linke d'autre part), à celui de la gauche française -mais sans possibilité vraisemblable de réunir ces trois forces dans quelque "front populaire"... Le succès de die Linke, presque 9 % des suffrages, alors qu'elle était concurrencée par une formation rouge-brune (qui n'a fort heureusement pas obtenu le quorum pour être représentée au Bundestag) est cependant porteur de quelque espoir d'un sursaut de la gauche allemande, d'autant que
die Linke est le premier parti dans l'électorat le plus jeune et que la menace de l'extrême droite a fait considérablement grandir le nombre des adhésions (le parti est passé de 52'000 membres en 2024 à 81'000 début février)-
D'ici là, vous pouvez prendre le
temps (il en faut un peu, mais il ne sera pas perdu) de lire
(ou de relire) l'"Esthétique de la Résistance" de Peter Weiss
(la traduction française est parue en 2017 aux éditions
Klincksieck)... Weiss y fait raconter par ses personnages de
militants communistes défaits en Allemagne, en Espagne, en
France, l'inéluctable défaite d'une gauche désunie face à des
forces qui, elles, savent s'unir -pour l'écraser et écraser
avec elle tout ce que que l'art et la littérature ont pu
produire d'une esthétique de la libération, et d'une
esthétique de la résistance aux oppressions. Tout ce que les
forces politiques qui auraient pu vaincre le fascisme sous
toutes ses formes (dont le nazisme) ont été incapables de
faire usage. Et qu'elles ont d'autant mois d'excuses de ne pas
utiliser qu'une loi de "soutien à la démocratie" accorde 120
millions d'euros d'aide aux mouvements citoyens organisés pour
ce soutien, dont entre 20 et 30 millions à des actions de
lutte contre l'extrême-droite.
A Einsiedeln, où réside
généralement la cheffe de l'AfD, Alice Weibel, une petite
manifestation antifa s'est tenue samedi sous la banderole
"L'histoire se répète lorsqu'on n'en apprend rien"...
Ou qu'on n'a aucune envie d'apprendre quoi que ce soit qui pourrait être utile à ne pas reproduire à chaque génération les conneries des générations précédentes.
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