Les pauvres se noient, les riches s'emmurent

Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Antonio Guterries, évoque un phénomène mondial qui pousse les personnes désespérées à utiliser des moyens extrêmes pour fuir les conflits, les persécutions et la pauvreté : il y a de plus en plus d'émigrants et de plus en plus de barrières pour entraver leurs mouvements, créant une situation dans laquelle un grand nombre d'émigrants sont condamnés à un exode illégal, au risque de leur vie En dix mois (janvier à octobre 2008), 32'000 personnes ont fait ou tenté de faire la traversée entre la Somalie et le Yemen. 230 d'entre elles sont mortes, 365 sont portées disparues. Fin mars dernier, au large des côtes libyennes, plusieurs centaines de personnes qui tentaient d'atteindre l'Europe ont disparu en mer. La même semaine, deux bateaux sont arrivés en Sicile, avec 250 personnes à boird, et à Lampedusa, avec plus de 200 personnes à bord. En 2008, 36.000 personnes sont arrivées en Italie par la mer depuis l'Afrique du Nord. Que faire des candidats à l'immigration ou à l'asile ? Les refouler, comme l'Europe (et la Suisse), les empêcher de partir, comme l'Algérie veut tenter de le faire, ou les noyer, comme ces passeurs qui ont, en octobre dernier, balancé 100 personnes par-dessus bord au large du Yemen ? Il semble ne venir à l'idée de presque personne qu'on pourrait simplement les laisser entrer " chez nous ", comme y sont entrés nos propres ancêtres.

La prison, la noyade ou le ghetto
Alors rapporteur de l'ONU pour le Droit à l'alimentation, Jean Ziegler avait fait la proposition d'un statut de protection internationale aux réfugiés de la famine et de la misère (la seule disposition de droit international qui protège spécifiquement les réfugiés est la Convention de Genève de 1951, qui limite le droit d'asile à celui qui est requis pour échapper à des persécutions raciales, politiques ou religieuses : la faim n'est pas un motif d'asile -c'est seulement une cause de mort). Le 18 février dernier, une révolte éclate dans le centre d'internement pour étrangers de l'île de Lampedusa, entre la Sicile et la Tunisie. Le lendemain, une autre révolte éclate dans le centre d'internement de Hal Far, à Malte, pour les mêmes raisons (conditions d'hébergement inacceptables, mauvais traitements, durées interminables de rétention, mépris des lois nationales et des droits fondamentaux). Ces révoltes se dressent contre les pratiques et les politiques des pays européens face à l'immigration en provenance du " sud ", mais aussi contre les pratiques et les politiques des pays d'origine ou de transit de cette migration : les autorités algériennes prévoient de condamner de plus en plus durement les harragas, ces désespérés prêts à mourir en mer pour quitter le pays. Plus cynique, la Libye s'est fait offrir vingt millions d'euros par l'Union européenne pour aider à la " lutte contre l'immigration subsaharienne ". L'Europe, elle, militarise sa réponse à l'immigration : Frontex, l'agence européenne de contrôle des frontières extérieures de l'Union européenne, dispose de navires de guerre, d'avions, d'hélicoptères, de soldats... mais en même temps, l'Europe contribue à produire les réfugiés de la faim, en subventionnant massivement sa production agricole et son exportation, pendant que les agriculteurs africains n'arrivent plus ni à vendre leur propre production, ni même à pouvoir continuer de produire. Sauf de la matière première pour biocarburants : des millions d'hectares auparavant voués à nourrir des humains le sont désormais à nourrir des moteurs.

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