Les pouvoirs publics et l'Etat

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Aucun pouvoir d'Etat, aucun gouvernement, jamais, nulle part, n'a pu, ne peut ni ne pourra être autre chose qu'un obstacle à la révolution et un adversaire des révolutionnaires. A chaque fois qu'un pouvoir d'Etat a prétendu être le moteur d'une révolution, ou son centre, ou sa direction, il a en réalité entravé puis étouffé la révolution réelle. Le Comité de Salut Public vaut le Conseil des Commissaires du Peuple, Napoléon hérite de l'un comme Staline de l'autre, et tous deux d'un pouvoir qui prétendit être celui de la révolution ; qu'ils aient pu si aisément y installer la contre-révolution signale qu'elle y avait déjà ses meubles, et signifie bien la nature réelle du pouvoir d'Etat se proclamant révolutionnaire : sous ses oripeaux idéologiques et rhétoriques, une simple forme dérivée de la forme initiale du pouvoir que la révolution voulut abattre. Saint-Just et Trotsky se trompèrent, certes, et héroïquement, mais en se trompant ils trompèrent la révolution elle-même. On ne règne jamais innocemment, même lorsque l'on règne au nom de la révolution ; on commet alors deux crimes : on règne, et on ment.

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Il nous faut donc prendre garde à toute forme de pouvoir concentré, centralisé, contraignant (s'il est un pouvoir concevable qui ne le soit pas). Y prendre garde, c'est-à-dire prendre garde à ne pas le prendre, ni à en user. Et à refuser toute possibilité de représentation politique du mouvement révolutionnaire, sinon par ce mouvement lui-même.

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Cela posé, il est des situations où nous revendiquons le droit de faire usage de " tous les moyens, même légaux ". Tel est de toute évidence le cas d'une menace fasciste, lorsque la possibilité concrète d'une révolution sociale ne se fait pas jour : le fascisme, en effet, se combat par tous les moyens, y compris par le bulletin de vote, y compris lorsque ce bulletin porte le nom d'un candidat " bourgeois ", y compris lorsque ce candidat est un individu douteux. Contre Le Pen, il était aussi légitime d'appeler à voter pour Chirac, fût-ce en se bouchant le nez, qu'il était légitime de s'y refuser : aucune de ces deux légitimité ne l'emportait sur l'autre, et tout était affaire de choix personnel. Ici, le vote est un instrument : comme l'écrivaient au printemps 2002 des anarchistes français, " ce n'est pas parce qu'on est hors d'état de vaincre le fascisme dans la rue qu'on ne doit pas l'empêcher d'accéder au pouvoir par les urnes ".
Nous sommes, par principe autant que par l'examen raisonnable et raisonnant de l'histoire, opposés à toute délégation de la souveraineté populaire. Or l'élection est précisément une délégation de cette souveraineté. Est-ce une raison pour laisser ceux qui ne se sont jamais accommodés de la souveraineté du peuple en user pour l'abolir ? Que nous soyions en quête d'une démocratie absolue ne nous empêche pas de préférer une démocratie relative, limitée, tronquée, à une absence de démocratie. Certes, si les élections pouvaient permettre un changement de société, elles seraient interdites (au fait, elles le sont, sous les dictatures). Mais si l'abstentionnisme était révolutionnaire, le vote serait obligatoire, et les abstentionnistes seraient pour le moins en prison.

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