Que peut-on faire encore de la gauche ?

Un spectre hante le socialisme européen : celui de son impotence. Pour conjurer ce spectre, les intellectuels organiques du mouvement socialiste scandent depuis un quart de siècle les mots d'ordre de la " rénovation ", du " big bang " ou de l' " aggiornamento ". Ces mots d'ordre ont un présupposé commun : il y a encore quelque chose à faire avec la gauche dans l'état où l'histoire nous la laisse. Ce présupposé, nous le récusons. Il y a certes " quelque chose à faire avec la gauche ", mais pour en faire tout autre chose que ce qu'elle est devenue. La réforme ou la recomposition de la gauche telle qu'elle est, c'est-à-dire telle que nous en héritons, est à la fois hors délai et hors sujet. Hors délai, parce qu'il est trop tard et que le double fardeau de l'impuissance social-démocrate et de l'imposture stalinienne n'est pas à alléger, mais à abandonner. Hors sujet, parce que les bases théoriques, la culture politique, les thèmes privilégiés et les méthodes d'action traditionn
elles de la gauche, ne répondent plus à rien de ce qui doit désormais nous requérir et dont, paradoxalement, nous pouvons trouver prémices aux origines du mouvement dont nous disons encore participer et dont nous constatons la sénescence. La gauche socialiste, dans le PS ou hors du PS, n'a pas besoin d'un " aggiornamento ", mais d'un " risorgimento ", d'une résurgence de ses ambitions fondatrices et de sa radicalité première.

Déplacer les lignes
Nous en sommes à un moment de l'évolution de la social-démocratie où sa capacité d'action et sa compétence politique ne sont plus que celles de pouvoir encore, parfois, gagner des élections, mais sans plus savoir que faire d'une telle victoire électorale, ni quelle différence fondamentale la sépare encore de la droite démocratique. Est-elle électoralement victorieuse -et encore ne l'est-elle que de plus en plus rarement, et à la condition préalable d'avoir été pour un temps rejetée dans l'opposition, c'est-à-dire d'avoir perdu des élections- que la social-démocratie ne sait que faire du pouvoir politique qui lui échoit, sinon s'y lover comme un renard en son terrier. La social-démocratie a renoncé à se servir du pouvoir politique pour changer les règles du jeu social et les codes de l'ordre du monde. Le socialisme démocratique a trop bien, trop profondément et trop longtemps intégré les normes et les références libérales (le marché, les " grands équilibres " , les " lois d
e l'économie ") pour pouvoir s'en extirper. Comment en effet être une alternative à ce que l'on a accepté, et dont on a usé -avec quelque efficacité, quand cette efficacité ne se mesure plus à la capacité d'atteindre ses objectifs initiaux (le changement social) mais à celle d'atteindre un niveau de pouvoir suffisant pour se résigner sans tourment à n'être plus que l'ombre d'un mouvement de changement ? De s'être abandonnée à l'air libéral du temps, la gauche paie le prix, mais à ses marges, dans et hors ses organisations traditionnelles (mais jamais à leur tête, ni forcément en quête d'organisation nouvelle à créer), une gauche résurgente est en gésine dans une gauche moribonde, et si le déclin de la gauche traditionnelle est irréversible (elle ne convoite plus guère que l'espace, plastique, du centre mou, ou celui, inculte, du populisme protestataire), la naissance d'une nouvelle gauche est possible en usant des quelques points d'appui que peuvent encore offrir quelques or
ganisations politiques et syndicales, qu'il ne s'agit pas de contrôler, mais de subvertir, de transformer en autre chose que ce qu' ellessont - bref, de les déplacer hors du champ qu'ils occupent, et où, si elles y restent, elles ne peuvent plus guère espérer que faire humus.


Commentaires

  1. Bonjour camarade Pascal,

    Toujours heureux de lire ta prose.

    Te serait-il possible un jour de faire un bilan, exaustif et sincère de ton action de subvertion, au sein de l'appareil "socil-démocrate" auquel tu appartiens, et aussi dans les institutions helvétiques ?

    Car je partage une bonne partie du fond de tes interventions, mais je suis un poil dubitatif sur la stratégie.

    Notamment, parce que comme tu ne l'ignores pas, chez nous (le centre du monde) les recompositions vont bon train (constitution du Parti de Gauche, du NPA, des Objecteurs de Croissance, des alliances croisées des uns et des autres, Front de Gauche...) et elles sont à la fois porteuses de renouveau et de contradictions.

    Mais une chose demeure certaine : le PS est absolument INCAPABLE à ce jour d'offrir une quelconque alternative, ni même un nid, une niche, une alcôve, un asile, une planque, à quiconque voudrait de colleter avec le réel, avec le capitalisme contemporain et sa domination marchande.

    Coincé entre social-libéralisme blairiste et néo-keynésianisme au raz des pâquerettes, amputé de sa gauche (GS, PRS, NM...) et d'une partie de son aile "écolo/alter/objecteur de croissance" (les "cadres d'Utopia"), le PS n'incarne vraiment plus rien... à part la seule alternace possible au règne sans partage du Napoléo-nanisme sarkozien.

    Ne te sens-tu pas un peu... tout nu, tout seul dans ta stratégie ?

    Bien à toi, et à tous les vivants qui sont ceux qui luttent comme chacun sait.

    Marcel Pivert
    from les montagnes du sud-est du centre du monde.

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  2. le PS est un hall de gare : on n'y fait pas sa vie, on y attend un train... et en l'attendant, on s'occupe un peu. Reste à savoir si ceux que tu annonces (Parti de Gauche, NPA, Front de Gauche etc...) vont quelque part, ou plutôt s'ils vont ailleurs que le PS...

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