L'espace congru de la culture alternative

Après Artamis

La culture alternative genevoise ne manque ni d'acteurs, ni de public, elle manque de locaux. Non pas tant de locaux de travail, mais de locaux de représentation publique. L'Union des espaces culturels autogérés (UECA) a recueilli 10'000 signature au bas d'une pétition en faveur, notamment, d'un lieu de concerts et de représentations sur le site d'Artamis, dont la Ville et l'Etat veulent faire un « écoquartier » qui risque fort de n'en être qu'un ersatz. L'UECA regrette de n'avoir jamais pu discuter réellement ni avec la Ville, ni avec le canton, d'un projet qui devrait certes abriter 250 logements, dont deux tiers de logements « d'utilité publique » (ce qui ne désigne pas forcément des logements sociaux), et un demi-hectare dévolu à l'artisanat et à des activités collectives, mais rien de ce que l'UECA demande et dont les «alternatifs» ont besoin, moins désormais pour travailler que pour que le résultat de leur travail soit visible. Ce qui suppose qu'on ne se satisfasse pas de l'existence, quelque part dans les marges, d'une «alternative» dont on ne verrait rien, parce qu'on n'en voudrait rien voir.

Dura lex sed Rolex
Le 18 septembre dernier a été inauguré au Centre artisanal du Vélodrome, à la Jonction, le nouveau lieu de travail des anciens occupants d'Artamis, relogés par la Ville. Un lieu de travail, non de représentation de ce travail : le Vélodrome n'est plus Artamis. Des répétitions, des entraînements, oui, mais fini les concerts, les représentations et les bistrots; Dix jours plus tard, dans les locaux de Picto (une ancienne usine à l'avenue Ernest-Pictet) était officialisée la création d'une fondation privée ayant pour but d'offrir de nouveaux lieux de création pour la culture «émergente» (ce qui ne signifie pas forcément «alternative»). La Fondation a été portée sur les fonds baptismaux par le canton, la Ville, les communes et la fondation Wilsorf. C'est-à-dire Rolex. Commnentaire d'un artiste, ancien d'Artamis : « peut-être passons-nous de l'adolescence à l'âge adulte »... Comme disait Sarkozy, celui qui n'a pas une Rolex à cinquante ans a raté sa vie. Efficacité économique, performance financière, croissance consumériste : nous sommes entrés dans le XXIe siècle en nous prosternant sous ces totems. Et autour de ces totems, c'est plutôt un troupeau qu'un peuple, plutôt des moutons que des humains, que l'on rassemble. Des producteurs, des consommateurs, des téléspectateurs dociles et manipulables dans chacun de ces rôles. Les espaces culturels, y compris ceux des grandes institutions, en deviennent des espaces de résistance, où s'apprend et s'exerce la pensée critique et émancipatrice, où se crééent ses expressions symboliques, où le rapport à l'autre se construit sur d'autres critères que ceux de l'utilité immédiate. La culture alternative est l'espace d'expérimentation de cette espace de résistance. C'est sans doute pour cela, mais aussi parce que son fonctionnement autogestionnaire est irréductible aux obsessions comptables, que tout est fait depuis des années pour la réduire à la portion congrue. Et c'est donc aussi pour cela qu'il convient de soutenir les personnes, les lieux et les associations qui la portent, même dans l'illégalité, pour que la création culturelle, grâce à la culture alternative, mais grâce aussi aux institutions culturelles qui en recueillent les fruits, reprenne l'initiative face au marché, qu'elle le subvertisse et subvertisse les institutions politiques et sociales. Nous devons continuer d'exiger un engagement culturel accru des collectivités publiques, y compris, ou surtout, dans les champs culturels où elles sont vilipendées.

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