Politique d'asile : La Suisse s'assoit sur le droit et sur les requérants

Le 17 mars dernier, un requérant d'asile nigérian de 29 ans, débouté de sa demande d'asile, et qui résistait à son expulsion après avoir mené une grève de la faim, est mort sur le tarmac de l'aéroport de Zurich, étouffé par les mesures prises pour le maîtriser, le lier pieds et poings pour pouvoir l'enfourner dans l'avion pour Lagos. Selon des témoignages, plus d'une cinquantaine de policiers auraient été mobilisés pour expulser seize requérants d'asile, les auraient forcé à uriner dans des bouteilles avant de les conduire dans l'avion attachés et casqués... Un cirque lamentable, qui se solde par la mort d'un homme, le troisième décès de ce genre en Suisse depuis 1999 lors d'un renvoi sous mesures de contraintes. En 2001, en Valais, un Nigérian de 27 ans était mort après qu'un policier se soit carrément assis sur son ventre. L'Office fédéral des migrations a suspendu les vols spéciaux de rapatriement en attendant les résultat de l'enquête, le directeur de l'ODM reconnaissant la nécessité d'adapter les mesures de contraintes s'il se confirmait qu'elles ont joué un rôle direct dans la mort du jeune Nigérian, et Amnesty International réclame la mise sur pied d'une commission d'enquête indépendante et impartiale, et que les renvois forcés de requérants d'asile déboutés soient surveillés par des observateurs indépendants (comme c'est désormais le cas à Genève, depuis novembre), ce dont l'ODM aurait admis le principe.

Broyeur
Depuis novembre dernier, à Genève, des observateurs de la Commission des visiteurs du Grand Conseil assistent aux renvois de requérants d'asile (du moins aux renvois relevant de la responsabilité du canton) -mais les membres de la commission n'ont pas encore- été autorisés à suivre les expulsions les plus dures, lorsque les personnes expulsées sont entravées. Le principe d'une telle observation indépendante semble avoir été admis par les autorités fédérales. C'est un premier pas, mais les conditions d'expulsion des requérants d'asile déboutés ne sont qu'une manifestation, certes la plus spectaculaire, du caractère profondément nauséabond de la politique suisse d'asile. Non seulement les expulsions se font au mépris des droits les plus élémentaires des expulsés, mais ce qui leur advient ensuite ne vaut guère mieux (personne en Suisse ne se sent responsable du sort de la jeune expulsée vers l'Italie, abandonnée à Rome où elle sera séquestrée et violée pendant quinze jours...). Les conditions de détention des « déboutés du droit d'asile » sont, elles aussi, condamnables : Neuf requérants d'asile retenus au centre de rétention de l'aéroport de Genève avaient entamé début octobre une grève de la faim, interrompue au bout d'une semaine, pour dénoncer les conditions de leur rétention. Une majorité d'entre eux étaient détenus depuis plus d'un mois, en attente de renvoi, dans un lieu tout juste acceptable pour une rétention d'un jour, tournant en rond dans un espace confiné, sans pouvoir en sortir, privés de la possibilité qu'ont les détenus de toutes les prisons de Suisse, fussent-ils coupables des pires crimes, d'une heure de promenade quotidienne à l'air libre. Cette situation et ces pratiques sont inacceptables ? Pas tant que cela, selon la Conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf, qui propose un nouveau durcissement de la loi sur l'asile.Pour reprendre les mots de Carlo Sommaruga au Conseil national, le 3 mars dernier, « Au siècle dernier, le coeur de la Suisse était une forteresse (le réduit national). Aujourd'hui, c'est la Suisse qui est au coeur d'une forteresse », celle édifiée par le système de Schengen-Dublin contre les femmes, les hommes, les enfants, qui fuient les guerres, les catastrophes « naturelles » et la misère. Toute la politique suisse d'asile se résume en une vérification de l'efficacité quantitative du fonctionnement d'une « machine à broyer les individus » : plus on en broie, mieux cela vaut. Du moins tant que ça ne se voit pas : cette politique est bien celle du pays du « propre en ordre »...

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