600 détenus entassés à Champ-Dollon

Prisons : C'est quand qu'on débourre ?

ça tombe désormais à rythme régulier, une fois par mois : Record battu, Champ-Dollon a dépassé ce week-end les 600 détenus, pour 270 places. Non seulement il n'y a jamais eu autant de tôlards dans la prison genevoise, mais il n'y a également jamais eu à Genève une proportion aussi élevée, par rapport à la population résidante, de personnes incarcérées, entre Champ-Dollon, la Brenaz, la Clairière, Frambois etc... On n'en est pas encore au niveau qu'atteignent certains villes américaines, qui comptent plus d'un détenu pour 5 habitants, mais on y arrive doucement, notamment dans la région de Thônex, Choulex, Puplinge. En attendant la réalisation de cet enthousiasmant projet, le mécanisme tourne à plein : la police ramasse, la prison entasse. Jusqu'à quand ? Tant qu'on pourra. Tant que ça n'explosera pas. Un ancien détenu, interrogé hier par « Le Matin », estime d'ailleurs qu'« un jour ça va péter, et qu'« il y aura des morts ». Aujourd'hui déjà, « les problèmes (entre détenus) se règlent à coups de poing », et tout, à Champ-Dollon, ne tient plus qu'à deux fils fragiles: la résistance physique et psychologique du personnel, et la résignation des détenus.

Recurrences

La récurrence des annonces de nouveaux records de surpopulation à Champ-Dollon excusera-t-elle la récurrence du commentaire ? peu importe, nécessité de l'alphabétisation fait loi et il y a des évidences qu'il faut réitérer sans se lasser en espérant, sans trop y croire, qu'elle finiront pas se frayer un chemin dans des esprits bornés par les calculs à court terme, L'année dernière, dans « Le Monde », une contribution collective, signée notamment par Daniel Cohn-Bendit, Nancy Huston, Albert Jacquard et Bertrand Tavernier, traitant de la surpopulation carcérale en France -mais à partir de constats, et de revendications, qui valent et s'appliquent parfaitement à Champ-Dollon, disait cette évidence : «La meilleure façon de mettre un terme à la surpopulation carcérale (...) consiste à n'installer qu'une personne là où il n'y a qu'une place (...). Nous avons dit la meilleure façon et, tout aussi affirmatif, nous disons la seule (...). Force est de constater qu'en prison, et concernant la surpopulation, nous atteignons le degré zéro de la démocratie : les rapports accablent dans le désert, les associations colloquent dans le vide, les médias informent en rond, l'administration pénitentiaire n'en peut plus et les politiques affichent tous les signes de l'impuissance. Parce que tout est dit. Parce qu'il n'y a rien qui ne se sache. Et parce que rien ne change, ou si peu. Mettre un terme à la surpopulation carcérale ne dépend ni d'un prochain état des lieux -ils sont là tout frais sur nos étagères. Ni d'un prochain scandale en cellule -les journaux nous en servent un par jour. (...) Mettre un terme à la surpopulation carcérale ne dépend pas non plus d'un nouveau plan de construction ambitieux». C'est pourtant l'affectation de la croyance en un tel plan qui anime les responsables politiques genevois. La situation à Champ-Dollon ne témoigne pas seulement de l'incapacité des autorités genevoises (et suisses) d'imaginer une autre politique pénale et pénitentiaire que cette sorte de trouble obsessionnel compulsif qui consiste à planifier la métastase carcérale en multipliant les lieux de détention : elle témoigne aussi de l'incapacité de la société elle-même de concevoir une autre réponse à ses désordre que celle qui consiste à en enfermer les fauteurs. La première fois que l'auteur de ces lignes s'est retrouvé en prison, il devait y avoir en tout et pour tout, et tous lieux de détention confondus, 200 détenus à Genève. Quarante ans plus tard, en ayant multiplié les lieux de détention, on en est déjà à un millier de personnes détenues, soit une proportion de la population détenue par rapport à la population résidente triplée en quarante ans. Et on peut prévoir que dans dix ans, on aura encore doublé la proportion de la population détenue par rapport à la population totale. Avec quel effet sur la sécurité publique, le sentiment d'insécurité et la surpopulation carcérale ? Aucun, puisque quand on construit une nouvelle prison, on commence par la remplir, et on continue en la bourrant, sans vider les prisons existantes ni faire baisser la délinquance et la criminalité. Doit-on se résigner à l'attente (ou à l'espoir) d'une explosion de la prison, à défaut d'une lueur d'intelligence politique ?

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