Chute du gouvernement Barnier et solitude du président Macron
Segur que tomba, tomba, tomba...
«Si estirem tots, ella caurà
i molt de temps no pot durar,
segur que tomba, tomba, tomba
_ben corcada deu ser ja.
Si tu l'estires fort per 'qui
i jo l'estiro fort per 'llà,
segur que tomba, tomba, tomba»
(Lluis Llach, L'estaca)
Il fallait juste tirer fort par la droite tout en tirant fort
par la gauche. Une sorte d'écartèlement... La France Insoumise à
gauche, le Rassemblement national à droite de la droite, avaient
déposé chacun.e une motion de censure du gouvernement Barnier.
La première a avoir été soumise au vote fut celle de LFI. Le RN
l'a votée, elle est passée (ce qui a évité à LFI de devoir voter
celle de l'Ennemi historique) et a fait tomber le gouvernement,
pour la première fois depuis plus de 60 ans dans la Ve
République française. Et a redonné la main au président de la
République, qui n'est pas forcément en état de la prendre, et
semblait ne pas croire à l'imminence d'un vote de censure. Et
maintenant, qui fait quoi ?
La France en a vu d'autres, et de bien pires
Il avait fallu un moins et demi pour qu'Emmanuel Macron le nomme Premier ministre, et il a tenu trois mois : Michel Barnier a remis sa démission à Emmanuel Macron, qui l'a chargé d'expédier les "affaires courantes" et va devoir nommer un nouveau Premier ministre et ratifier un nouveau gouvernement. Macron avait choisi de confier la chefferie du gouvernement à un notable historique du parti républicain -défait aux Législatives. C'était évidemment un choix politique : celui d'un gouvernement de droite, sans majorité parlementaire, à la merci des calculs du Rassemblement National. Le gouvernement le plus fragile de toute l'histoire de la Ve République, parce que celui qui disposait du plus faible soutien au parlement. Et le gouvernement qui lui succédera sera dans la même situation, puisque le parlement est en place, inchangeable, jusqu'à l'été 2025. "Ce ne sera pas seulement un gouvernement de droite", assurait Michel Barnier juste avant de constituer le sien, de gouvernement. "Pas seulement", peut-être, mais en tout cas "essentiellement", et sous surveillance de l'extrême-droite. Aucune des formations du Nouveau Front Populaire n'avait accepté de participer à ce gouvernement, ni le groupe centriste LIOT et dès sa formation, on entendait au sein de la macronie (ou de ce qui en reste), s'exprimer de fortes réserves sur le choix de nommer des ministres très conservateurs, comme celui de l’Intérieur, Bruno Retailleau, et des inquiétudes sur les lois sociétales progressistes comme celles portant sur les droit des femmes (dont celui à l'IVG) et le mariage pour tous. Michel Barnier a promis que ces "grandes lois de progrès social" seraient intégralement préservées. Autant que le droit d'asile, la liberté de circulation et le droit de manifester ?
Le 12 septembre, Emmanuel Macron avait fait une
promesse : celle de ne plus être l'hyperprésident, à la fois
chef d'Etat et chef de gouvernement, qu'il était depuis sa
première élection à la présidence. Cette promesse, dont on
pouvait douter qu'il la tienne longtemps, une lourde erreur et
deux défaites l'ont finalement condamné à la tenir,: la défaite
électorale aux Européennes, la dissolution de l'Assemblée
nationale, la défaite électorale aux Législative. Macron va
cesser d'être hyperprésident parce qu'il n'a plus les moyens de
l'être : il n'a plus de majorité à l'Assemblée, son propre parti
s'émancipe de lui, le Premier ministre qu'il avait choisi
n'était pas son homme. Du coup, assurait-il : le Premier
ministre devait avoir "les coudées franches" et lui-même, qui
était "un président qui gouverne" ne serait plus qu'un
"président qui préside". Qui préside à quoi ? à un Etat
présentement sans gouvernement ni budget. Mais qui, il est vrai,
en a vu d'autres, et de bien pires.
Que reste-t-il du projet macroniste après la
séquence des législatives, de la formation d'un gouvernement de
droite et de son renversement après que le Premier ministre ait
provoqué, en recourant au fameux article 49.3 de la Constitution
pour faire adopter sans vote le budget de la Sécurité sociale,
le dépôt de deux motions de censure (dont la première a été
acceptée)? pas grand'chose... Macron lui-même, c'est tout. Mais
politiquement bien diminué et dont selon les sondages une
majorité de Français réclament, ou attendent, la démission.
Le gouvernement Barnier n'a tenu que le temps que
le Rassemblement National de Le Pen lui a laissé et il est tombé
quand le RN a décidé de le faire tomber, et pour les seules
raisons que le RN, ou Marine Le Pen personnellement (elle risque
d'être condamnée à cinq ans inéligibilité pour avoir détourné au
profit de son parti des subsides européens) avait de le faire
tomber. Et il en sera de même du futur gouvernement : Il ne
tiendra que tant que le RN l'acceptera. Parce que le rapport des
forces au sein de l'Assemblée Nationale n'a pas changé. Et que
jusqu'à l'été prochain, aucune dissolution de l'Assemblée n'est
possible. Même si Macron devait démissionner, ce à quoi il se
refuse. Du moins pour le moment. Et de toute façon, sa démission
ne serait pas une sortie de crise, mais l'ajout d'une crise aux
autres.
Cela posé, un peu de mémoire ne nuit pas : on lit un peu partout, ces jours, que la France est plongée dans la pire crise politique de la cinquième République ? C'est oublier un peu vite la fin de la guerre d'Algérie et mai 68. Et puis, tout de même, un gouvernement qui tombe, cela peut n'être qu'une péripétie.
Après tout, nous sommes en décembre 2024, pas en juin 1940...
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