Amnistie fiscale à Genève : une prime à la fraude, quoi d'autre ?


La droite genevoise, toute unie, les trois partis de l'Entente, l'UDC et le MCG sur la même ligne pour défendre le droit du fraudeur à garder pour soi la plus grosse partie du montant de sa fraude, a décidé (contre l'avis du Conseil d'Etat) de soumettre au peuple (le référendum est obligatoire en matière fiscale, ce qui nous évitera au moins de devoir le lancer) une proposition d'amnistie fiscale qui va plus loin encore qu'une loi fédérale déjà peu reluisante mais réservant ses dispositions les plus contestables aux héritiers des fraudeurs. A Genève, le cadeau serait fait aux fraudeurs eux-mêmes. Jusqu’en décembre 2009, un fraudeur se dénonçant devait s’acquitter d’une amende équivalente à 20% du montant soustrait. Il payait en plus ses impôts sur la somme soustraite sur dix ans. Faire payer des fraudeurs ? prétention insupportable pour la droite genevoise : désormais, à Genève, le fraudeur qui, faussement repenti, irait déclarer sa fraude, devrait être doublement récompensé par l'absence de poursuite et par l'assurance de pouvoir garder 60 ou 70 % du montant qu'il avait soustrait aux impôts. Une véritable incitation à la fraude, puisque le contribuable honnête qui aura déclaré la totalité de ses revenus et ne se sera pas inventé des déductions factices, devra payer l'intégralité de ses impôts alors que le fraudeur n'en paiera que le 30 ou le 40 %.

Resquille de droite


« La fraude n'est plus l'apanage des riches, mais de personnes ayant 200'000 ou 300'000 francs », a déclaré, pour justifier la proposition d'amnistie fiscale, l'un de ses chantres, le libéral Jornot. « Des personnes ayant 200'000 ou 300'000 francs » de revenu ou de fortune ? La plèbe, quoi. De vulgaires cinquièmes ou tiers de millionnaires qui se mettent à pratiquer un sport de grands bourgeois, ce qui est sans doute supposé légitimer cette pratique, pour ceux qui nous bassinent à longueur de discours avec le respect des lois et qui encouragent ici, et pas seulement en paroles mais aussi en espèces sonnantes et trébuchantes, la fraude et la soustraction fiscales. Et qui l'encouragent par une loi que la députée socialiste Lydia Schneider Hausser a fort justement qualifiée d'« amorale, sans éthique et inacceptable », d'autant qu'elle piétine allègrement un principe, qui, s'il n'a jamais été fondamental pour la droite) est tout de même au coeur de l'« Etat de droit» et de la démocratie moderne : l'égalité. Quant à la morale et à l'éthique, mesurons par quelques comparaisons ce que la loi d'amnistie fiscale en fait : Accorderait-on un le 60 ou le 70 % d'une rente AI à quelqu'un qui avouerait avoir menti sur son état physique ou mental pour l'obtenir ? Trouverait-on normal qu'une assurance paie les deux tiers des dommages causés par un type qui aurait foutu lui-même le feu à sa maison pour niquer l'assurance, ou les deux tiers du capital d'assurance-vie contractée sur la tête de l'épouse qu'il vient de trucider ? C'est pourtant précisément ce que la droite genevoise propose, quand elle propose (qui se ressemble s'amnistie...) de récompenser de l'immunité et d'une remise d'impôts ceux qui ont fraudé et donc volé les autres contribuables. Le plus amusant de l'histoire, si on apprécie l'humour grinçant, est bien que sont ceux qui font campagne sur le thème des sales étrangers abuseurs de l'aide sociale, qu'il conviendrait de punir avec une particulière sévérité puis d'expulser manu militari, qui recommandent du même mouvement de bonneteau d'amnistier ceux qui abusent le fisc. Et que ce sont aussi les mêmes qui donnent des leçons de morale aux resquilleurs des TPG et qui votent (ou se votent ?) l'amnistie des fraudeurs fiscaux. Nous voilà en tout cas confortés (comme si nous en avions besoin après l'annonce de la récente hausse des tarifs TPG...) dans notre conviction de la légitimité de la resquille, comme de toute prise de distance avec la légalité quand la loi est injuste : si des lois aussi détestables que celle qui vient de nous tomber du croupion de la droite parlementaire peuvent être acceptées comme des lois, alors aucune loi ne peut être a priori posée comme légitime pour la seule raison qu'elle a été conçue et promulguée dans les formes. Comme nous n'avons jamais dit autre chose, on remerciera la droite genevoise de nous donner l'occasion de le redire.

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