La « meilleure armée du monde » en modèle réduit

Encore 80'000 hommes de trop...

Le Conseiller fédéral Ueli Maurer veut, pour la Suisse, « la meilleure armée du monde » ? Il l'aura. En modèle réduit, d'un tiers. Le Conseil fédéral a décidé que l'armée suisse ne comprendra plus que 80'000 hommes (dont quelques femmes, qui militairement sont presque des hommes comme les autres, l'égalité progresse à grands pas cadencés) au lieu de 120'000 actuellement. Tout va se réduire dans cette armée Märklin : le nombre de brigades de défense (qui passent de neuf à deux), le niveau d'équipement de la troupe, le nombre de soldats pouvant être engagés à l'étranger, les jours de service, le nombre de places d'armes et de sites militaires, le budget... Le parti d'Ueli Maurer, l'UDC, estimait déjà que passer de 120'000 à 95'000 hommes relevait quasiment de la haute trahison. Maintenant qu'on descend encore un peu plus bas, à quelle sauce les udécistes vont-ils apprêter cette couleuvre ? Ueli der Soldat, lui, reste droit dans ses bottes rapiécées : « nous devons avoir et aurons un jour la meilleure armée du monde ». Meilleure, même, si tout va bien, que la Garde Suisse du Vatican et la Compagnie 1602. Nous, on est d'accord. A une nuance près cependant : réduire l'armée suisse d'un tiers et la limiter à 80'000 hommes, c'est bien, mais seulement comme premier pas. Parce que c'est encore 80'000 hommes de trop.

Garde suisse

« La légitimation principale de l'armée n'est pas la capacité à mener une guerre », lisait-on dans un rapport confidentiel dont l'hebdomadaire udéciste Weltwoche avait mystérieusement reçu copie. Alors c'est quoi, la « légitimation principale de l'armée » ? consumer des ressources financières ? gaspiller du temps, du matériel et des hommes pour rien ? Ueli Maurer propose, au grand dam de l'UDC qui s'en tient à l'armée modèle Réduit National 1940 révisé guerre froide, d'insérer l'armée suisse dans un vaste dispositif de sécurité dont elle ne serait plus qu'un élément. Le projet d'Ueli der Soldat, qui rencontre plus l'approbation de ses adversaires politiques de gauche que de ses copains de droite, impliquait déjà une réduction d'un moins un quart des effectifs (des raisons purement démographiques y conduisant par ailleurs), une réduction considérable des jours de service obligatoire, une obligation de servir flexibilisée, un système d'armement revu... Les décisions du Conseil fédéral imposant à l'armée suisse une sévère cure d'amaigrissement vont dans le même sens que celui que suggérait le ministre de la Défense, mais elles y vont plus vite (la réduction des effectifs, par exemple, serait d'un tiers, et non d'un quart...)... Et le Groupe pour une Suisse sans Armée, transformé en Groupe pour une Suisse sans armée de conscription, a lancé une initiative pour l'abolition de l'« obligation de servir » -qui, il est vrai, devenait de plus en plus fictive, non seulement parce que seuls les hommes y sont tenus, ce qui en exempte la majorité de la population adulte, mais aussi parce que la proportion de conscrits potentiels déclarés inaptes est proche du tiers de tous les « recrutables », que moins du tiers des conscrits accomplissent la totalité de leurs obligations militaires et parce que le service civil, utile, lui, à la communauté, séduit de plus en plus de jeunes hommes, en lieu et place du folklore militaire. Reste qu'en proposant l'abolition de la conscription et non de l'armée, le GSsA s'engage dans une voix piégeuse : celle de la constitution d'une armée de métier, suivant en cela une tendance européenne : il y a vingt ans, la conscription militaire, héritage de la Révolution française et de la geste du « peuple en armes », était la norme en Europe. Aujourd'hui, la plupart des Etats, y compris la France elle-même, l'ont abandonnée, et en Europe occidentale, méditerranéenne et centrale, il ne reste plus, outre la Suisse, que l'Allemagne, le Danemark, la Norvège, la Serbie, le Kosovo et la Grèce à s'y tenir. Certes, la nouvelle initiative du GSsA a plus de chances d'aboutir que celles qui proposaient ce pourquoi le groupe s'était constitué -l'abolition de l'armée : selon un sondage publié en mars dernier par l'Hebdo, moins de la moitié (43,3 %) des Suisses étaient encore favorables à l'obligation de servir. Mais si le risque d'une défaite devant le peuple est moindre, celui d'une victoire à la Pyrrhus, lui, est considérable : l'abolition de la conscription, comme substitut à l'abolition pure et simple de l'armée, pourrait servir les plans des partisans d'une armée de métier.

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