« Nouveau » Conseil fédéral : La journée des dupes

La répartition des ministères au sein du Conseil fédéral ayant déjà fait couler beaucoup d'encre, on nous pardonnera d'y ajouter notre petit ru. Or donc, les trois partis de «centre-droit», le PDC, PRD et le PBD se sont entendus pour se goinfrer les quatre ministères les plus importants (en termes de budgets et d'impact économique) : ils ont confié l'un des quatre à la dissidente UDC, histoire de sécuriser son siège, et ont laissé au PS ce qu'ils (et le PS avec eux) considèrent, d'ailleurs à tort, comme des miettes. Contre sa volonté et celle de son parti, Simonetta Sommaruga dirigera un département qui mène une politique que le PS combat et qu'elle aussi est supposée combattre. Doris Leuthard reprend, sous les applaudissements du lobby pro-nucléaire, le département que tenait Moritz Leuenberger. Eveline Widmer-Schlumpf passe aux Finances, qu'auraient pu, mais que n'a pas voulu, reprendre Micheline Calmy-Rey, Johann Schneider-Ammann, l'homme du patronat, reprend l'Economie (là, on est dans la continuité), Didier Burklhalter garde, couleur miraille, l'Intérieur et Ueli Maurer continuera de ronger son frein et l'armée à la Défense. Bref : pour notre 500e numéro, le Conseil fédéral nous a offert une « journée des dupes » (les dupes étant le PS et l'UDC) qui vaudrait bien, si la tradition ne s'en était perdue, qu'on y réponde par une mazarinade, et surtout que le PS y réponde autrement qu'en pleurant sur la concordance perdue ou, comme Simonette, sur la « solution consensuelle » qu'on aurait pu, ou du, adopter pour ne fâcher personne.

Et alors ? Et oualà...

La nouvelle répartition des ministères au sein du Conseil fédéral a suscité la colère de notre camarade-président, qui accuse son homologue radelibe d'avoir menti en assurant que rien ne se tramait contre Simonetta Sommaruga -du coup, le président du PRD porte plainte contre le président du PSS. Et alors ? Ben voilà, les comploteurs sont contents, les dupes sont furieux, mais on reste dans un jeu politique connu et éprouvé : au gouvernement, c'est la majorité de droite qui décide. Doris Leuthard au ministère de l'énergie ? Pourquoi pas, si ça réveille les antinucléaires... Et Simonetta Sommaruga à l'Immigration? Pourquoi pas, si ça entrave la xénophobie d'Etat (on peut toujours rêver)... On peut toujours rêver, aussi, à un Parti socialiste capable de répondre comme il convient, c'est-à-dire par des actes et non des pleurs, aux petites et grosses manœuvres de la droite. Et y répondre comme il convient, ce serait claquer la porte au nez de ceux qui comptent sur l'attachement du PS à sa présence du Conseil fédéral pour lui faire avaler toutes les couleuvres qui passent -et quelques vipères en prime. Le président du PS, Christian Levrat, pose, dans sa réaction au putsch de palais opéré au Conseil fédéral, une bonne question : « Voulons-nous une politique soumise aux intérêts de l'économie ou qui bénéficie à l'ensemble de la population ? ». C'est une bonne question, parce qu'avant de suggérer de répondre en disant ce que nous voulons, elle nous suggère de contempler ce que nous avons : précisément, « une politique soumise aux intérêts de l'économie ». Et cela, avec la participation de deux socialistes au gouvernement du pays. Christian Levrat voit dans « les intrigues de la droite » la marque d'une volonté de réduire le poids du PS au Conseil fédéral, pour le priver d'un siège en 2011, au profit de l'UDC ou des Verts. Peut-être, mais si la droite peut se permettre ce genre d'exercice, c'est bien que le poids du PS dans l'opinion publique, dans l'électorat, et donc au parlement, est bien en deçà de ce qu'il devrait être, en Suisse comme d'ailleurs à Genève. Et de cela, ce n'est pas la droite qui est responsable, mais bien le PS lui-même. Et peut-être aussi sa participation obstinée à des gouvernements menant une politique qu'il est supposé combattre, qu'il dit vouloir combattre, et qu'il combat d'ailleurs souvent -du moins quand cette politique est par trop clairement inacceptable. « Nous n'allons pas nous laisser faire », promet Christian Levrat. En effet, il serait temps. Il serait temps que le PS, et la gauche dans son ensemble, puisque le PS n'est pas tout à fait à lui tout seul toute la gauche, se donne pour objectif, non de « sauver ses sièges » ou d'en gagner quelques uns de plus, mais de conquérir les trois majorités politiques qui ensemble peuvent lui permettre de « changer les choses » : une majorité populaire, une majorité parlementaire et enfin, mais seulement enfin, et après les deux premières, une majorité gouvernementale. Mais peut-on conquérir ces majorités en se faisant les chantres de la concordance et du consensus ?

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