Communiquons, il en restera peut-être quelque chose

A quoi sert l'exercice auquel nous nous livrons ici ?

Autorisons-nous une petite respiration, en nous demandant à quoi sert, ou à quoi rime, ce que nous faisons en « communiquant » nos états d'âme par cette feuille, sur un « blog » ou sur quelque « réseau social » genre Facebook ? A nous donner à nous-même l'impression d'exister socialement, sans doute. Mais pour le reste, nous n'avons guère qu'une certitude : nous ne faisons rien de neuf, si nous le faisons par des moyens neufs : dans la longue histoire des moyens de communication entre les hommes, jamais une innovation technologique n’a annihilé les technologies antérieure, et toujours s’y est-elle ajoutée. Si on n’utilise plus de tablettes de cire pour écrire, on écrit toujours; si on n’utilise plus de linotype, on imprime toujours; si on ne filme plus avec des caméras manuelles, on filme toujours et si on ne projette plus avec les projecteurs des frères Lumière, on diffuse toujours des images animées et enregistrées. L’Internet s’ajoute à l’édition, à la radio, au cinéma, à la télévision -il ne les supprime pas. Le bombardement de vacuité auquel est soumis le « public » se fait par lui comme il se faisait par l’imprimerie : pour ce pilonnage, la couleuvrine moyenâgeuse convient aussi bien que le bombardier furtif -on en recevra toujours la même merde. Là s’illustre la formidable illusion de Mac Luhan : un nouveau medium ne suscite pas un nouveau message. Il peut seulement, comme ceux qui le précédèrent, porter un message qu'il n'était pas destiné à porter : Gutenberg « invente » l’imprimerie moderne pour diffuser la Bible, mais l’imprimerie diffusera aussi l’Encyclopédie, Sade et Artaud. Nous ne visons pas si haut -mais nous visons dans la même direction : toujours à côté de la cible désignée.

Je cause, donc je suis

La société « communicationnelle » (le capitalisme socialisé de l’âge de l’informatique) ne conçoit toujours la communication que comme on la concevait sous les monarchies ou les théocraties classiques : dans un seul sens, de haut en bas, du pouvoir vers ceux sur qui il pèse (puisque sur eux il repose). Les locataires du haut ont pu changer, le pouvoir être détenu par une autre classe, les maîtres de l’argent remplacer ceux des armées ou des églises, c’est toujours dans le même sens que « fonctionne » la communication. L’interactivité dont on fait si grand cas depuis quelques lustres n’est le plus souvent que phénomène d’écho ou réflexe de Pavlov, on patauge toujours dans la vieille division des tâches entre qui détermine et qui exécute -qui parle et qui écoute-, la même qui fonde depuis 250 ans l’économie du temps. Le modernisme technologique nous assure que nous sommes partie prenante du plus gigantesque réseau de communication jamais réalisé : l’Internet. Nous le sommes, en effet, mais si nous n'y prenons garde, nous ne le sommes que comme la mouche est partie prenante de la toile de l’araignée qui va s’en nourrir. Les informations (mais lesquelles ?) circulent pour que les gens restent immobiles, rivés à leur ordinateur, autistes coupés du monde réel mais branchés en permanence sur des simulacres, réceptifs aux sommations d’être conformes à ce que l’on attend qu’ils soient, et capables de faire ce qu'on leur dit de faire. Tout espoir de subversion n'est cependant pas perdu : les formes de communication existantes peuvent être dépassées et les moyens existants de communication détournés dans leur usage même. Nous laissons à ceux à qui communiquer importe, quoi que l’on communique, le soin d’inventer de nouveaux media. Nous en userons, et nous nous vouerons à ce qui nous requiert : nous entendons faire des media le plus mauvais usage social possible. Il s’agit de donner un nouveau contenu aux messages communiqués par les media existants, et de détourner ceux-ci de leur utilité marchande ou politique en les retournant contre leurs propres règles de fonctionnement, et contre la direction « naturelle » de la communication autorisée. Ni notre programme, ni notre langage, ni nos méthodes ne sont incompatibles avec les moyens d’expression et de communication existants, s’ils sont incompatibles avec leur usage commun, avec les modes courants et autorisés d’expression et de communication -et avec le sens univoque de la communication. Ce sont cet usage, ces modes et ce sens qu’il nous faut subvertir, de telle manière que les termes et les contenus communiqués, et ce qui nous tient lieu de culture, ne soient plus cette « sphère séparée » de la vie à quoi s’opposèrent Dada, le surréalisme et le situationnisme, mais deviennent l’expression même de la vie possible -de la vie telle qu’elle devrait être, contre la vie telle qu’elle est.

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