Votation cantonale genevoise du 13 février : Indulgences, le retour


Le 13 février prochain, le bon peuple genevois des bons contribuables honnêtes se prononcera sur la proposition de la droite d'amnistier le petit peuple des contribuables fraudeurs. Cette proposition, inacceptable sur le fond, pour ne rien dire de la forme, a quelque chose d'un assez fulgurant retour en arrère : celui du commerce des Indulgences dans la Cité de Calvin. Le paradoxe serait amusant, s'il n'illustrait le plus clairement possible la conception qu'a la droite de la lutte contre la délinquance et les « incivilités » : une lutte contre la délinquance et les incivilités des autres, mais une permanente tolérance à l'égard de la délinquance et des incivilités dont se rendent coupables celles et ceux que les promoteurs de l'amnistie fiscale représentent. La fraude fiscale n'est pas un sport de pauvres et l'amnistie fiscale ne s'adresse pas à eux. Sobald das Geld im Kasten klingt, Die Seel'aus dem Fegfeuer springt

Dans un monde où l'argent plus encore que roi est dieu, et où l'« économie » est érigée en théologie, il n'y a au fond rien de paradoxal à retrouver dans les pratiques fiscales de vieilles et solides pratiques religieuses. Ainsi de celle des Indulgences. On attribue au dominicain Johann Tetzel, chargé en 1516-1517 de vendre les indulgences au nom de l'archeveque de Mayence, lui-même intéressé à cette vente par une commission de 50%, le slogan : « Sobald das Geld im Kasten klingt, Die Seel'aus dem Fegfeuer springt » (aussitôt que l'argent tinte dans la caisse, l'âme s'envole du Purgatoire). Remplacez le Purgatoire par l'administration fiscale, et vous aurez le slogan de la campagne que devrait mener, si elle était capable de sincérité, la droite genevoise pour faire avaler aux contribuables scrupuleux son projet d'amnistier les contribuables fraudeurs. Rappelons donc de quoi il est question avec les Indulgences : dans l'église catholique romaine, le Droit Canon, l'encyclique Indulgentiarum doctrina de Paul VI et le Catéchisme définissent l'indulgence comme étant « la rémission devant Dieu de la peine temporelle due pour les péchés dont la faute est déjà effacée, rémission que le fidèle bien disposé obtient à certaines conditions déterminées, par l'action de l'église, laquelle, en tant que dispensatrice de la rédemption, distribue et applique par son autorité le trésor des satisfactions du Christ et des saints ». Amen. Donc, si la pratique des Indulgences est moins courante que par le passé, le Catéchisme la recommande toujours en faveur des défunts et lors du jubilé de l'an 2000, l'église catholique en a effectivement attribué. Le commerce des Indulgences fut l'événement déclencheur de la Réforme protestante, avant même que Luther s'en soit mêlé (ce commerce avait déjà été dénoncé, un siècle et demi plus tôt par John Wyclif et Jan Hus) en condamnant ce marchandage et en accusant l'église de profiter de la peur de l'Enfer et de détourner les pécheurs de leurs véritables devoirs (la charité et la pénitence). Trois siècles plus tard, Voltaire reviendra sur le sujet en accusant le pape de faire « argent de tout » (au cours du Moyen Age, la « cote » de l'indulgence n'avait pourtant cessé de baisser: la Tour de beurre de la cathédrale Notre-Dame de Rouen doit ainsi son surnom à la vente des Indulgences accordées a priori pour pouvoir consommer des matières grasses pendant le carême). On ne construit plus de «Tour de beurre » ? Certes. Mais on se propose toujours de nous jouer le même genre de tours de cochon que celui qui est à l'ordre du jour de la votation cantonale genevoise du 13 février : une Indulgence fiscale pour les plus gros fraudeurs. Sobald das Geld im Kasten klingt...

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