Fusion radicale-libérale à Genève : Marche nuptiale avec béquilles

Voilà, c'est fait, les deux vieux partis de la droite genevoise, les radicaux et les libéraux, ont décidé de fusionner. Il n'y a plus à Genève de libéraux et de radicaux, plus que des radelibes. Mais on peut tout dire de cette fusion, sauf qu'elle enthousiasme ceux-là même qui y appellaient -la plupart d'entre eux se contentant de s'y résigner. Une résignation massive : la fusion a été acceptée à des majorités écrasantes, dans les deux partis. Il est vrai qu'ils n'avaient guère le choix : le processus était si avancé, et le contexte politique si défavorable au statu quo, qu'on voit mal comment les deux époux plus que centenaires (on ne ricane pas : le PS n'est pas beaucoup plus jeune...) auraient pu repousser encore leurs noces, au risque que le plus mal en point des deux défunte avant la nuit de noce. Leurs épousailles en tout cas paraissent plus requises par leur état de santé que suscitées par leurs sentiments. La marche nuptiale a résonné, mais les époux marchent avec des béquilles.

La Montagne est gironde quand la Gironde épouse le Marais...

Exeunt, donc, le parti radical et le parti libéral genevois. Les acteurs de leur fusion en attendent qu'elle fasse du nouveau parti le premier parti de la République, et qu'elle lui donne la force de résister à l'avancée, qui se fait sur leur électorat, du populisme de droite. Or la fusion de deux forces politiques ne produit que rarement une somme supérieure, ou même égale, à celle que produisait leur addition lorsqu'elles étaient autonomes (le rassemblement des diverses forces de la «gauche de la gauche» ne doit pas faire comparaison : elles ne se réunissent que pour surmonter la barre d'un quorum qu'aucune d'entre elle n'est assurée de franchir seule). La fusion radelibe pourrait tout aussi bien renforcer les tentations centrifuges, vers la droite (UDC et MCG) ou le centre (PDC, verts libéraux) d'une partie de l'électorat des deux anciens partis. En tout cas, elle va assez puissamment déséquilibrer l'Entente, ou ce qui en tient encore lieu, en plaçant le PDC face à un seul et unique parti pesant trois fois plus que lui... Il nous est arrivé (un moment de faiblesse, sans doute, ou un spasme compassionnel) de plaider, dans d'autres colonnes, pour que survive, en face d'une gauche solidement ancrée à gauche, une droite solidement campée sur quelques-uns de ses principes fondateurs. Cette confrontation d'une gauche et d'une droite qui savent chacune ce qu'elle veulent et où elles vont est constitutive du débat démocratique depuis que débat démocratique il y a. L'Entente bourgeoise avait été créée pour faire pièce au Parti socialiste de Léon Nicole, il y a trois quarts de siècle. Elle y avait d'ailleurs réussi, en reprenant le pouvoir après la parenthèse du gouvernement socialiste de 1933-1936. L'Alternative a été créée il y a une vingtaine d'années, pour prendre les majorités possibles, d'abord en Ville puis, mais plus malaisément, au plan cantonal. Si elle rassemble des forces qui ont entre elles nombre de divergences, elle aussi s'est constituée sur un socle politique qui, sans nier ces divergences a été capable, en 40 ans d'alliance avec le PdT et 20 ans d'alliance avec les Verts et la « gauche de la gauche », de les dépasser, alors que les Verts et les socialistes viennent d'horizons politiques contradictoires, et de cultures politiques fort différentes. Mais si l'Alternative rassemble aujourd'hui trois forces de poids comparables, à quelques points de pourcentages électoraux près (du moins en Ville), dont aucune n'est donc hégémonique, le rapport des forces au sein d'une Entente PLR-PDC aurait quelque chose de difforme par l'inégalité du poids respectif de ses deux composantes. Une difformité quantitative qu'aggraverait encore d'une difformité qualitative une alliance, sous quelque forme qu'elle se fasse, avec l'UDC, voire le MCG. Une force politique, quelle qu'elle soit, de gauche ou de droite, progressiste, conservatrice ou réactionnaire, révolutionnaire ou réformiste, ne tient que par la différence qu'êlle manifeste avec les autres forces politiques. Sa légitimité est fonction de cette distinction d'avec les autres. S'il y a des socialistes et des Verts, c'est que socialistes et Verts diffèrent suffisamment pour qu'on les distingue les uns des autres. Et si les différentes composantes d'« Ensemble à gauche » ne rejoignent pas le PS pour créer (ou plutôt recréer, puisqu'il existait dans les années trente) un grand parti de gauche pesant 40 % des suffrages, c'est que ces forces et le PS diffèrent suffisamment pour que leur réunion soit (encore) improbable. Le même raisonnement vaut pour la droite : «un parti doit proposer quelque chose de neuf; or là (dans la fusion radelibe), on ne voit rien de novateur, ni les hommes, ni les idées », observe l'historien (radical) Bernard Lescaze. Si réellement il n'y avait plus de différence, à Genève ou ailleurs, entre les radicaux et les libéraux, les maintenir dans l'état de deux partis séparés conduirait certainement à la disparition du plus faible des deux (les radicaux à Genève, les libéraux au plan suisse). Mais est-on sûr que ces différences, ces contradictions même, entre des radicaux issus d'une révolution (celle de 1847) et des libéraux issus d'une contre-révolution (celle de 1814) se soient estompées au point d'avoir disparu, et qu'il n'en reste pas quelque chose, qui tient de la différence entre deux cultures politiques, la jacobine et la girondine, qu'il serait hasardeux de penser pouvoir dissoudre dans le marais ?

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