Mouvement socialiste et classe moyenne : changer de base...

Construit-on l'instrument politique de changement d'un système social sur ceux qui auraient à y perdre ? La social-démocratie, après avoir été (contre ses intentions initiales, bien plus ambitieuses) l'instrument de l'accession des ouvriers à la normalité sociale « médiane », c'est-à-dire aux codes sociaux de la petite-bourgeoisie, s'est trouvée naturellement basée sur cette « classe moyenne » qu'elle a contribué à élargir à une partie de l'ancienne classe ouvrière, et qui a désormais quelque chose à perdre à un changement social profond : la critique du salariat n'a rien d'enthousiasmant pour qui a un salaire suffisant; celle de l'Etat n'a guère d'urgence pour qui vit du salaire que l'Etat lui verse et tire son statut social de sa place dans la hiérarchie de la fonction publique ou de son mandat politique; la critique de la propriété privée du sol ne mobilise guère les propriétaires de leur logement ou d'une résidence secondaire; l'appel à une politique des transports restrictive de l'usage de l'automobile a peu d'écho positif chez les automobilistes, et à la dénonciation de l'emprise des zones résidentielles et des zones villas, leurs habitants ne sont guère sensibles.

Cesser d'être respectables

Fondé politiquement sur le projet de l'égalité et éthiquement sur le principe de solidarité, projet et principe qui se conjuguent en une seule phrase : « les autres ont tous les droits que je m'accorde et je n'ai que les droits que j'accorde aux autres », le mouvement socialiste se retrouve donc fondé sur des couches sociales (les « classe moyennes ») qui, historiquement, n'ont jamais admis la solidarité et l'égalité que lorsqu'elles pouvaient elles-même en tirer avantage. Or la dénonciation moralisante de cet «égoïsme» est à la fois inopérante et illégitime tant qu'elle ne s'accompagne pas d'un engagement solidaire et égalitaire des dénonciateurs eux-mêmes -un engagement qui ne se limite pas à de la rhétorique, et qui suppose une rupture réelle, concrète, d'avec les pratiques et les institutions qui produisent l'égoïsme et les inégalités que l'on dénonce.
Il est en somme dans la nature des « classes moyennes » d'être égoïstes, à la fois envieuses des couches sociales qui leur sont supérieures et apeurées par celles qui leur sont inférieures. Mais il est aussi du rôle des forces politiques qui prêchent la solidarité et l'égalité d'imposer une solidarité structurelle entre les couches sociales et entre les sociétés, une telle solidarité ne pouvant qu'avoir pour conséquence une réduction des ressources, du bien-être matériel et des privilèges relatifs des couches et des sociétés sur lesquelles repose désormais, politiquement, électoralement, la social-démocratie.

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