Un enjeu plus urgent que nos jeux

Avec une demie-douzaine d'autres conseillères et conseillers municipaux de quatre communes genevoises, nous partons dimanche, pour une semaine, au Burkina Faso, invités par la Fédération Genevoise de Coopération (organisation faîtière regroupant une cinquantaine d'associations actives dans la coopération au développement) à venir « voir sur place » à quoi (tri des déchets, scolarisation des enfants handicapés, gestion de la faune, sécurité alimentaire...) sont utilisés les fonds accordés par nos municipalités à la coopération au développement, et avec qui se fait cette coopération. On vous tiendra au courant (notamment sur www.secretariatfgc.blogspot.com). Et, avouons-le : entre les vautours planant sur les Bastions, l'appel de la droite à réduire le droit de manifester et les petits arrangements de l'«affaire Muller », on n'est pas trop mécontents de changer un peu d'air, et de réalités -pour des réalités pour lourdes que les nôtres, et des enjeux plus urgents que nos jeux.

C'est encore loin, le 0,7 % ?


Deux milliards et demi de personnes, plus du tiers de la population mondiale, vivent avec moins de deux francs par jour. La lutte contre cette pauvreté se traduit, imparfaitement, mais nécessairement, par un objectif quantitatif, celui de 0,7 % de leur revenu national brut à consacrer par les pays riches à l'aide publique au développement. En 2010, la Suisse n'en était qu'à 0,41 %, et, seule en ce cas de tous les pays de l'OCDE, n'a toujours pas fixé de calendrier pour atteindre ces 0,7 %. Même la Ville de Genève, ou plutôt la majorité de son Conseil municipal, a refusé le crédit permettant d'atteindre une allocation budgétaire équivalant à 0,7 % du budget municipal, alors que dans les « treize objectifs prioritaires de développement durable » adoptés par la commune figure celui de la coopération internationale...) Quant à la République de Genève, elle s'est donné bonne conscience en adoptant, il y a dix ans, une loi l'obligeant à consacrer 0,7 % de son budget de fonctionnement à la solidarité internationale, mais le parlement et le gouvernement cantonal refusent obstinément de respecter cette loi, que le premier a votée et que le second a promulguée : en 2010, le budget cantonal de l'aide internationale se situait toujours, en pourcentage sur le budget global, autour de 0,2 %...


Cependant, Genève, canton et communes ensemble, contribuent pour moitié au total de l'aide publique au développement accordée par la totalité des cantons et des communes suisses (En 2010, les communes genevoises et le canton ont consacré, ensemble, 25,7 millions de francs à la solidarité internationale et la Ville de Genève s'est classée deuxième dans un classement des communes suisses selon leur prise de « responsabilité sociale en matière de développement durable » (la première était Zurich, mais le classement était établi sur des données datant de 2009, et Zurich depuis considérablement réduit son engagement, laissant la première place à Genève). Quant à la Confédération, le Parlement fédéral, poussé aux fesses par une pétition nationale de 70 organisations de coopération, de femmes et de défense de l'environnement, plus des églises et des syndicats, a accepté de faire passer d'ici à 2015 l'aide fédérale publique au développement à 0,5 % du revenu national brut. C'est déjà ça (la pétition demandait le 0,7 %) : un acquis, mais un acquis fragile.


Les contributions municipales à la coopération au développement sont d'autant plus importantes qu'elles ne sont pas tenues par des critères relevant de la Raison d'Etat, ou de l'intérêt économique, ce qui permet de les affecter à la construction d'une société civile et de contre-pouvoirs sociaux indispensables à la démocratie : Carouge à soutenu le réseau Dynamiques Africaines, le Grand Saconnex le renforcement des associations de producteurs, Lancy les organisations paysannes du Bas-Congo, Meyrin un Centre de développement communautaire au Timor Oriental, le canton une coalition de syndicats et d'ONG asiatiques pour une sensibilisation sur les conditions de travail et de salaire des ouvrières du textile, la Ville de Genève un syndicat guinéen pour renforcer l'organisation des femmes dans le secteur «informel»...


Cet effort, insuffisant, de coopération au développement, la droite s'en contente, et l'extrême-droite le juge déjà excessif. Il serait tentant de lui rétorquer : vous ne voulez plus d''«immigrants économiques» fuyant la misère chez eux pour trouver la précarité ici ? Donnez-leur la possibilité de vivre dignement chez eux : l'argument vaut ce qu'il vaut, avec son poids de cynisme à usage du xénophobe moyen, mais il a un sens -celui des migrations de la misère et du sous-développemement. Combien de Suisses risquent leur peau en traversant la Méditerranée sur des rafiots pourris, puis le désert dans des camionnettes tout aussi pourries, pour demander l'asile au Burkina Faso ?

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