Espionnage d'Attac par Nestlé, Sécuritas (et la police) : Taupes modèles

On s'en souvient (ou on devrait) : ATTAC-Vaud avait fait l'objet en 2005, et jusqu'en 2008 d'une opération d'infiltration, commanditée par Nestlé et exécutée par nos Pinkertons nationaux, Securitas. Nestlé craignait que les investigations d'Attac sur ses pratiques nuisent à son image et à ses affaires. L'opération d'infiltration avait fonctionné, une fausse militante altermondialiste payée par Securitas avait espionné le groupe d'Attac-VD travaillant sur les multinationales, et fliqué ses membres. Le procès pénal n'ayant pas pu avoir lieu, puisqu'un brave juge lausannois avait classé l'affaire, c'est un procès civil qui s'est tenu à Lausanne la semaine dernière, à l'initiative de plusieurs militant-e-s d'Attac victime de ce que par euphémisme on qualifiera d'atteinte inadmissible à la sphère privée et à la liberté d'association (et au droit de militer légalement dans une association légale usant, elle, de moyens légaux, et du débat public).

Il y a plus aveugle qu'une taupe...

Les avocats des plaignants du procès lausannois du flicage privé d'Attac ont dénoncé la « trahison de confiance », «l'intrusion maligne» dans la vie privée, par des personnes sous contrat de Sécuritas pour le compte de Nestlé. Aucun intérêt public prépondérant ne justifiait cet espionnage : la seule menace qui planait sur Nestlé, la seule «agression» que la multinationale allait subir de la part d'Attac, était l'expression d'analyses et d'opinions critiques, contre lesquelles une entreprise de la puissance de Nestlé pouvait répondre sans avoir à se livrer à des opérations de basse police privée, en faisant surveiller les militant-e-s d'Attac comme un mari cocu les fréquentations de son épouse. C'est que c'est sensible, une multinationale comme Nestlé : ça a beau peser 100 millliards de francs, il suffit d'une dizaine de militantes et de militants vaudois pour la mettre dans un état proche de la panique. Mais si l'« affaire » se résumait aux pratiques barbouzières de Securitas et à la paranoïa de Nestlé, on pourrait ne la considérer que comme un mauvais épisode d'une mauvaise série télé, à mi-chemin du vaudeville et de la bouffonerie. Seulement voilà : Securitas et Nestlé ne sont pas seules à avoir bénéficié des exploits de « Sarah Meylan » et d'au moins trois autres infiltré-e-s : les polices vaudoise, genevoise et fédérale aussi; La WochenZeitung et le Courrier ont révélé qu’un étudiant genevois avait infiltré Attac de 2005 au 2007 pour le compte des renseignements genevois et fédéraux., moyennant une rétribution de 10'000 francs. Cette affaire s’ajoutait à l’espionnage d’Attac vaud par Securitas pour le compte de Nestlé. L'étudiant infiltré a affirmé à la Wochenzeitung être convaincu qu’il y avait d’autres espions à part lui : « Les Renseignements m’ont montré des procès-verbaux de séances et des invitations à des réunions auxquels ils n’auraient pas pu accéder sans cela »...

En novembre dernier, le Conseil administratif de Genève répondait (enfin) à une motion déposée trois ans (putain, trois ans...) auparavant par la gauche et acceptée par le Conseil Municipal, motion demandant à la Ville de mettre un terme à ses relations commerciales avec l'entreprise Securitas, à qui la Ville confie la surveillance de bâtiments et d'événements publics. Les motionnaires estimaient que compte tenu des «services d'espionnage politique» rendus par Securitas à Nestlé, Genève n'avait plus à traiter avec cette entreprise. L'exécutif municipal a donc répondu, après un long temps de réflexion, que Securitas étant un « partenaire incontournable de la sécurité dans le canton » la Ville ne pouvait s'en passer. Et qu'au surplus, l'infiltration d'Attac par une Mata-Hari de Sécuritas sur mandat de Nestlé ne concernait que la filiale vaudoise de Securitas, pas la filiale genevoise, et qu'un non-lieu avait été prononcé dans cette affaire par un tribunal lausannois. Bref, qu'il n'y avait aucune raison d'en vouloir à Securitas-Genève des pratiques de Securitas-Vaud, sans doute parce que la Versoix est un fleuve infranchissable par les taupes, et surtout parce que rien d'illégal n'avait été confirmé par un tribunal de la part de Securitas. On est supposés se satisfaire de cette réponse, venant d'une Municipalité de gauche, alors que la police genevoise, comme la police vaudoise et la police fédérale, a elle aussi bénéficié des résultats du flicage d'Attac ? Il y a plus aveugle qu'une taupe (surtout de Securitas et Nestlé) : une Municipalité qui ne veut rien voir.

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