« Préférence cantonale » à l'emploi : Moins d'agglo, plus de contreplaqué...

« A compétences égales, nous favoriserons dorénavant l'accès à un poste de responsable d'unité de soins à un résident genevois plus qu'à un frontalier », a déclaré le directeur général des Hôpitaux Universitaires de Piogre, soutenu par son ministre de tutelle (démo-chrétien comme lui), Pierre François Unger. Apparemment, nos duettistes n'ont fait ensemble qu'enfoncer une porte ouverte : « à compétences égales », l'embauche pour un poste de responsabilité dans un service public, au service du public, doit logiquement privilégier des candidat-e-s connaissant d'autant mieux ce public qu'ils et elles en sont eux et elles-même issu-e-s. Mais personne en réalité n'a été dupe de l'apparent truisme de Gruson et Unger, et tout le monde ou presque y a vu ce qu'il y avait : un calcul politique -à une année des élections cantonales, le discours sur la région pèse moins que la pèche aux voix. Unger et Gruson n'ont fait que superposer leur propre discours sur celui du MCG, pour tenter d'en récupérer quelques électeurs. Et c'est ainsi qu'au projet d'agglo succède un discours contreplaqué sur celui du MCG... De la langue de mauvais bois...

Recréer avec les frontaliers ce qui a été aboli avec le statut de saisonnier ?

La « préférence cantonale » est politiquement assez tendance (elle a d'ailleurs aussi ses partisans à gauche). Au point d'ailleurs qu'on ne s'étonnerait pas de la voir prochainement doublée d'une « préférence municipale », participant de la même logique et des mêmes calculs. Après tout, s'il est légitime de privilégier l'embauche de résidents du canton dans un service public cantonal, il l'est tout autant de privilégier l'embauche de résidents de la commune dans un service public communal... ou de résidents du quartier dans un service de quartier.

Dans la proclamation faite par le directeur général des HUG et par son ministre de tutelle que désormais, « à compétences égales, (les HUG) favoriseront dorénavant l'accès à un poste de responsable d'unité de soins à un résident genevois plus qu'à un frontalier », tout est dans les premiers mots : « à compétences égales ». A moins de décider que le fait d'habiter à Genève plutôt qu'à Ferney-Voltaire soit une « compétence », et donc d'oublier que Ferney-Voltaire est aussi « genevoise » que Céligny, Hermance ou Chancy depuis que la Genève réelle a fait exploser les frontières de la Genève légale, on continuera donc à embaucher les meilleur-e-s candidat-e-s à un poste de responsabilité sans tenir compte de leur lieu de résidence, mais en privilégiant leurs compétences et leurs expériences professionnelles. Rien ne sera donc changé dans la pratique. Mais tout aura changé dans la perception que des responsables politiques genevois distilleront de la région : au moment où il s'agit de la construire dans les faits, sur le terrain, en admettant que dans cette région de 800'000 habitants, le canton de Genève ne peut tout simplement pas maintenir son niveau de prestations publiques sans l'apport décisif des femmes et des hommes qui y travaillent sans y habiter, le directeur général des hôpitaux universitaires et le Conseiller d'Etat chargé de la santé font mine de croire que cet apport peut se cantonner aux postes subalternes. « Sans les frontaliers, (les HUG) ne fonctionneraient simplement pas », reconnaît Unger. Les TPG non plus ne fonctionneraient pas sans les frontaliers. Ni les Services Industriels. Ni l'Université. Ni la voirie. Ni le Grand Théâtre... Le discours tenu par Gruson et Unger est simple : on a besoin des frontaliers, mais on va essayer de faire croire qu'on n'en a besoin qu'au plus bas niveau de responsabilité possible, en recréant avec les frontaliers ce qu'on avait supprimé en abolissant le scélérat « statut de saisonniers » : une caste d'exécutants.

La prohibition de l'emploi de frontaliers à des postes de responsabilité, au nom d'une « préférence cantonale » qui de toute évidence répond plus au souci de contenir le MCG qu'à celui de résorber le chômage, ne peut que relever de l'illusion si on y croit, ou de l'escroquerie si on ne croit qu'à ses effets sur l'opinion publique et l'électorat. Sauf à prendre nos gouvernants pour des imbéciles, on accordera plus de crédit à la deuxième hypothèse : celle d'une posture démagogique. Le député-maire (de droite) de Divonne considère qu'on ne peut pas d'un côté signer un projet d'agglomération et de l'autre « revenir à des pratiques anciennes de quotas et de contrôles »... mais si, on peut. Il suffit d'oublier ce qu'une main fait quand ce que l'autre fait est plus porteur électoralement. La cohérence voudrait que la préférence à l'embauche soit une préférence régionale, puisque l'on prétend construire la région -mais non, la préférence à l'embauche sera cantonale. Le président de l'organe (l'Arc) réunissant les collectivités territoriale françaises de la région genevoise, doute de la possibilité de « bâtir une région harmonieuse avec des partenaires (genevois) dont la lucidité semble défaillir », mais la lucidité de la droite genevoise ne défaille pas. Elle est même de plus en plus aigüe au fur et à mesure que s'approchent les élections cantonales. Mais cette acuité a aussi un champ de vision de plus en plus resserré. Sur les urnes. Et la région ? elle est en arrière-plan, la région. Dans la brume.

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