Un « Serial Sniper » dans la campagne électorale

Le délire de l'un, les calculs des autres...

Mohamed Merah, 23 ans, islamiste radical, djihadiste au Pakistan et en Afghanistan, se revendiquant de la Qaeda, se rengorgeait après avoir tué sept personnes, dont trois enfants, parce qu'elles étaient juives, ou soldats : «j'ai mis la France à genoux»... Sans doute y croyait-il, mais il n'a pas même réussi à interrompre plus de 24 heures la campagne électorale pour l'élection présidentielle. Cerné, puis abattu, il n'était devenu rien d'autre qu'un tueur délirant dont les actes entraient dans des calculs politiques.. On a palabré plus d'un jour entier autour du Fort Chabrol toulousain. On voulait le tueur vivant (ou on voulait le faire croire). Mais pour en faire quoi ? Un trophée ?


« Dans ce feu là, il y a des voix à prendre »


Après la tuerie dans l'école juive de Toulouse, les deux principaux candidats à l'élection présidentielle ont décrété une « trève électorale » -qui n'a duré que 24 heures et qu'eux-mêmes n'ont pu respecter. Ce n'est pas qu'ils aient cédé à la tentation d'exploiter l'événement (s'ils l'avaient fait, et que cela s'était vu, cette exploitation les aurait, eux, déconsidérés, risque que la candidate du Front National ne courait pas puisque d'elle on n'attendait rien d'autre que ce qu'elle a presque immédiatement commencé de faire). C'est que l'événement, les actes du tueur, le choix de ses victimes excluaient le silence. Le président-candidat est partout ? N'importe quel autre président-candidat le serait aussi. Sarkozy est dans son rôle de président, et dans son intérêt de candidat. Ils coïncident, mais ils coïncideraient de même pour quiconque se trouverait, président en place et candidat à sa réélection, confronté aux mêmes faits, et à la même émotion. Et à la même exigence d'être, précisément, partout, parce que l'absence et le silence seraient une faute, et que la place du « premier magistrat » d'un pays, lorsque ce pays traverse ce que la France traverse en ce moment, est d'être là où on peut le voir et l'entendre. Les autres candidats et candidates, à commencer par celui du Parti socialiste, n'ont d'ailleurs pas non plus disparu des radars médiatiques. Eux aussi parlent. Pour dire ce qu'on attend d'elles et d'eux. Et c'est ainsi que, sans surprise aucune l'on voit, et entend, le Front National, sa candidate et leurs idiots utiles de Riposte laïque, sauter sur l'occasion et les cadavres des victimes de Merah pour faire campagne, non seulement pour Marine Le Pen, mais surtout contre les autres candidats, à commencer par celui du Front de Gauche, Jean-Luc Mélanchon. On va donc parler beaucoup plus qu'il était prévisible de sécurité, de terrorisme, d'islamisme, dans les mois à venir. Mais est-on si sûr qu'on feint de le croire que cela profitera réellement à celui que l'on croit ? Car Sarkozy ne peut guère plastronner : comme le rappelait le correspondant de la Tribune de Genève d'hier, « le premier responsable de la sécurité des Français », c'est lui, et personne d'autre.


Le terrorisme sous la forme qu'il a pris ces derniers jours en France sous le visage d'un Mohamed Merah, est, au strict sens du terme, imparable, qu'il soit islamiste, comme aujourd'hui en France, ou fondamentaliste chrétien, comme hier aux Etats-Unis, ou de quelque autre nevrose religieuse (ou politique) que ce soit, toutes ensemble donnant à la «hiérarchie des civilisations» évoquée par le ministre de l'Intérieur de Sarkozy, Claude Guéant, la seule réponse qui vaille, celle de l'histoire : s'agissant du terrorisme, il n'y a pas plus de « hiérarchie des civilisations » (toutes le connaissent, sous toutes ses formes, de l'assassinat ciblé au massacre aveugle) que de « solution définitive ». Et qui prétend le contraire ment. Comme Bush mentait en déclenchant sa «guerre contre le terrorisme» -qui n'a fait que nourrir ce qu'elle prétendait combattre. Comme Marine Le Pen ment en laissant croire que le rétablissement de la peine de mort serait en quoi que ce soit dissuasive d'actes comme ceux commis ces derniers jours ou que l'arrêt de l'immigration ou quelque discrimination envers les musulmans (et eux seuls) assècheraient le « terreau du terrorisme ». Comme Sarkozy mentirait en promettant que lui réélu, on ne vivra plus jamais en France ce qu'on vient d'y vivre -et d'y mourir.

On sait bien cependant que ces mensonges, ces promesses, ces coassements de charognards dans les cimetières, on va les entendre pendant encore deux mois. On se souvient aussi qu'ils déjà ont pu avoir l'effet que ceux qui les proféraient en attendaient : « dans ce feu-là, il y a des voix à prendre », a sombrement mais courageusement rappelé, au moment où on était sommé de ne pas le dire, le candidat centriste, François Bayrou. Mais ce que l'on ignore, c'est seulement si le principe de Goebbels (répétez inlassablement un mensonge, il deviendra une vérité) sera à nouveau validé par les faits. On veut croire que non. Ou du moins, que sa validation restera confinée à cette part de l'opinion publique qui, avant même qu'une énormité lui soit proférée, y a déjà adhéré : l'électorat du Front National, pour résumer. Et ne parler que de la France.

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