Campagne présidentielle française : De la mélanchonine contre la mélancolie

Le jour anniversaire de la proclamation (en 1871) de la Commune de Paris, le 18 mars, le Front de Gauche a rassemblé à Paris, avant-hier, de la Nation (voilà pour l'appel à l'unité) à la Bastille (voilà pour le rappel révolutionnaire) une centaine de milliers de personnes, pour soutenir son candidat à l'élection présidentielle, Jean-Luc Mélanchon, qui y a vu « un signal à l'Europe de l'austérité : son volcan français s'est réveillé ». Et c'est une bonne nouvelle, même si l'assassinat glacial et glaçant de trois enfants et d'un enseignant dans une école juive de Toulouse, hier, a « gelé » la campagne électorale, à l'avant-dernier jour de l'hiver. Demain, c'est le printemps. Le premier jour du mois de Germinal. Et la mobilisation autour de la candidature de Jean-Luc Mélanchon, même si elle inquiète, mais à injuste titre, le PS, qu'elle met devant ses responsabilités et la nécessité d'un véritable programme de changement, est bien annonciatrice d'un printemps politique.

Le « cri du peuple », ça fait du bien par où ça passe : par la mémoire...


Le succès des manifestations parisienne, toulousaine, marseillaise du Front de Gauche confirme la montée régulière dans les sondages d'intentions de vote, de son candidat, Jean-Luc Mélanchon. Il sera en tout cas dans les quatre premiers de l'élection présidentielle française, et peut-être en sera-t-il le « troisième homme», devant Le Pen et Bayrou (ou Bayrou et Le Pen), comme avant lui Montebourg fut le « troisième homme » de la « primaire » socialiste. Il paraît que cette « mélanchonisation » de la campagne inquiète le PS ? Ce serait un tort. Bien sûr, elle fait redescendre le candidat socialiste, François Hollande, dans les intentions de vote au premier tour, en réduisant l'impact du discours sur le « vote utile » et en redirigeant vers son candidat naturel cette part de la gauche qui était prête à se résigner à un vote pour Hollande dès le premier tour. Mais cette récupération, au premier tour, du vote de la « gauche de la gauche » par le candidat de cette « gauche de la gauche» assure au second tour au candidat de toute la gauche, quel qu'il soit (et on voit mal que cela ne soit pas Hollande) une réserve électorale suffisante pour battre Sarkozy et la droite. Mieux : en mobilisant dès le premier tour les abstentionnistes de gauche, ces « déçus » de la gauche française en général, et du PS en particulier, Mélanchon et le Front de Gauche les mobilisent aujourd'hui sans risque de se retrouver dans la situation de 2002, avec une dispersion des voix telle que la gauche fut éliminée du deuxième tour et dut se résigner à voter Chirac contre Le Pen. On n'est plus en 2002 : des cinq candidatures de gauche, seules celles de Hollande et de Mélanchon vont peser -elles ont cannibalisé les trois autres...


A dix ou quinze points devant Mélanchon, François Hollande sera au deuxième tour de l'élection présidentielle. Et Nicolas Sarkozy aussi, à dix ou quinze points devant Le Pen et Bayrou. Et Hollande ne pourra pas battre Sarkozy sans le soutien de l'électorat de Jean-Luc Mélanchon. Et Sarkozy ne pourra pas rester à l'Elysée si l'électorat de Marine le Pen ne le rallie pas. C'est aussi simple, aussi simpliste, même, aussi clivé, que cela. Et cela renvoie l'argument du vote utile au rayon des accessoires. Et cela donne à ce scrutin un intérêt nouveau: celui de la mobilisation, derrière Mélanchon, d'un électorat populaire que la boboïsation du PS et la sénéscence du PC avaient laissé sur le carreau, quand elles ne les ont pas jetés dans les bras du Front National, un électorat qui se refusait à voter pour le candidat du PS au premier tour, hésitait même à le faire au second tour, et qui se retrouve, au moins pour sa part la plus politisée, dans le discours, les propositions, les postures du candidat du Front de Gauche -qui a clairement annoncé qu'il appellerait à voter pour le candidat du PS au second tour..
Et puis, meilleur sera le résultat de Mélanchon, plus sera réfrénée la tentation, récurrente, du PS de s'en aller chercher « au centre » l'électorat qui lui manque pour obtenir la majorité absolue, puis de gouverner « au centre», en acceptant le kânun de l'orthodoxie économique et financière « libérale » comme l'ont accepté, avec les conséquences que l'on sait, les socialistes espagnols, portugais et grecs...

Alors peut-être bien que, nous proclamant « plus ou moins socialiste », on ne devrait pas nous réjouir du succès d'un candidat que le premier tour d'une élection au scrutin majoritaire rend forcément concurrent du candidat socialiste... mais on s'en réjouit tout de même. Parce que ce succès ne péjore en rien les chances de la gauche au second tour. Et surtout, parce que contre la mélancolie politique et ce qu'elle trimballe comme résignation et comme démobilisation, une dose de mélanchonine ne peut pas faire de mal, et qu'une bonne grosse manif pleine de gens pas résignés qui chantent l'«Internationale» après que Méluche ait proclamé, comme Vallès : « Nous sommes le cri du peuple » , ça fait du bien par où ça passe, quand ça passe par la mémoire.

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