Lancement d'une initiative populaire pour un « revenu de base inconditionnel »

Utopique ou nécessaire ?
Utopique ET nécessaire...

Un comité d'initiative indépendant*, mais lié à l'association « BIEN »* , qui soutient sa démarche, annonce le lancement, le 21 avril prochain (2 Floréal, jour du chêne...) d'une initiative populaire fédérale pour « un revenu de base inconditionnel ». Autrement dit, pour une « allocation universelle », un « revenu d'existence », un « revenu citoyen », bref : un revenu égalitaire, individuel, accordé à tout résident sans autre condition que sa résidence, et couvrant ses besoins essentiels : le logement, la nourriture, les soins, les déplacements. Ce revenu n'est pas un revenu de substitution à un revenu ou un salaire perdu. En revanche, il peut remplacer tous les revenus de substitution (assurance chômage, retraite, allocations familiales, allocations d'étude, rentes invalidité) qui lui sont inférieurs. Un projet utopique ? voire...
* info@bien-ch.ch

Remettre en cause, à gauche, la valeur-travail ? un sacré travail...

Le texte de l'initiative populaire « pour un revenu de base inconditionnel » qui sera lancée le 21 avril prochain est succint : il s'agit s'inscrire dans la constitution fédérale l'obligation faite à la Confédération de veiller « à l'instauration d'une allocation universelle versée sans conditions » devant « permettre à l'ensemble de la population de mener une existence digne et de participer à la vie publique ». Et c'est la loi qui règlerait le financement et fixerait le montant de cette allocation ( Bien.ch proposait de la fixer à 2500 francs par mois, soit, grosso modo, le montant maximum de l'aide sociale actuelle). Le choix d'une formulation aussi générale, et du renvoi à la loi du « réglage des modalités », a été fait pour permettre au débat de se tenir sur le fond, sur le principe même du revenu de base inconditionnel, sans se perdre dans les détails du financement et du montant. Car c'est évidemment ce débat de fond qu'il importe de mener, d'abord.
Les soutiens et les oppositions au revenu de base ne se déclinent pas selon le clivage gauche-droite : s'attaquant à la valeur sociale du travail, ce projet s'attaque à une valeur qui fait débat à gauche comme à droite : la valeur du travail réduit à l'emploi (salarié ou indépendant). Le projet de revenu de base est ainsi soutenu à la fois par James Tobin, depuis la gauche, et Milton Friedmann, depuis la droite. Et contesté également depuis la gauche comme depuis la droite, parce qu'il déconnecte les moyens d'existence de la rémunération d'une activité professionnelle. En permettant, sans autre condition que la résidence, de vivre sans travailler, il remet en cause l'un des fondements de l'organisation sociale : le travail rémunéré, qui deviendrait facultatif pour autant que l'on se contenterait d'un revenu minimal. Le « plein emploi » en deviendrait un concept obsolète, dans le même temps où le travail bénévole ou militant s'en trouverait revigoré. Car si le revenu minimum remet en cause l'obligation sociale du travail rémunéré, il ne remet pas en cause le travail « pour soi », d'autant que dans nos société, la majeure partie du travail effectué (engagements sociaux bénévoles, tâches domestiques, aide aux proches) n'est pas rémunérée. Parce qu'il est assumé par des femmes, sans doute...

Cette remise en cause du travail (au sens du travail professionnel) comme valeur centrale de l'organisation sociale, le moins que l'on puisse en dire est qu'elle est profondément subversive. Et qu'elle l'est autant pour la gauche que pour la droite, autant pour les syndicats (qui organisent par définition des travailleurs) que pour le patronat : les entreprises et les employeurs individuels se retrouveraient en effet devant un défi qu'elles n'ont eu à relever jusqu'à présent que dans les rades périodes de très haute conjoncture et de manque absolu de main d'oeuvre : motiver d'éventuels salariés, par des temps, des conditions et des rémunérations de travail qui les convainquent d'ajouter au revenu inconditionnel un revenu supplémentaire et conditionnel en échange du temps voué à travailler pour autrui.

Retrouver le sens de la critique du travail, c’est aller plus loin dans la critique de l’ordre social que là où s’arrêtèrent Marx ou Proudhon, dénonçant les modalités du travail, les conditions faites au travailleur, mais non le travail lui-même. Si notre critique du travail n’est pas celle, aristocratique, qui prévalait pour ceux qui, dans la cité antique ou l’Europe médiévale forçaient esclaves ou serfs à travailler pour qu’eux-mêmes puissent se consacrer aux affaires publiques, à la guerre, à la prière, à l'orgie ou à la création culturelle, c’est que notre critique est fondée sur la volonté d’accorder à toutes et tous le droit que quelques uns seulement s’étaient arrogés, sur le dos courbé d’une masse laborieuse les nourrissant. Que le grand nombre travaille pour nourrir le petit nombre est révoltant ; que nul ne soit plus contraint de travailler pour vivre, tel est le projet du revenu de base.
Et remettre en cause, y compris (ou surtout) à gauche, la valeur-travail, ça va être un sacré travail...

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