Un « parlement des musulmans de Suisse » pour « organiser l'islam de Suisse » ?

Au nom de Dieu clément et député

Deux organisations musulmanes veulent donc « organiser l'islam de Suisse » grâce à un « parlement des musulmans », nous apprend la presse... Mais quel « islam de Suisse » ? Ou plutôt, lequel, des islams de Suisse Qu'il y ait des musulmans en Suisse (à peu près 400'000, dont à peu près la moitié sont Albanais d'Albanie, de Kosovë ou de Macédoine), l'UDC les agite assez comme épouvantails pour que nul désormais ne puisse les ignorer. Mais un islam de Suisse ? Les musulmans de Suisse sont sunnites, chiites, alévis, soufis, ismaïliens, distingués en outre par leurs origines nationales : albanais, maghrébins, turcs, ont des rapports différents à l'islam, et des pratiques différentes de leur foi religieuse (quand encore il s'agit de foi, et non d'héritage culturel « laïcisé » en mode de vie). Bref, on voit mal ce qu'un « parlement des musulmans de Suisse » pourrait organiser d'un « islam de Suisse », sinon la prétention exorbitante de quelques organisations à parler au nom de tous et toutes les musulman-e-s d'Helvétie...

A chacun son parlement à soi, pour soi, entre soi...

mi-février, deux organisations musulmanes, la Fédération des organisations islamiques de Suisse (FOIS) et la Coordination des organisations islamiques de Suisse (COIS) annonçaient leur intention de créer un «parlement des musulmans suisses». Mais qui leur donne le droit de parler au nom des musulmans ? Certainement pas les musulmans eux-mêmes, dont ils ne représentent que le 15 % (et dont ils ne sont d'ailleurs pas les seuls « représentants » autoproclamés, puisqu'un Conseil central islamique suisse prétend lui aussi parler « au nom des musulmans »)... La question de la représentativité de ces organisations est cependant secondaire : c'est le projet même d'un «parlement» confessionnel qui doit être refusé, comme une régression.

La Suisse n'est certes pas franchement un Etat laïque, mais sa constitution ne reconnaît aucune religion en particulier, même si elle s'ouvre sur un « au nom de Dieu » à qui il ne manque que les qualificatifs de « clément et miséricordieux » pour satisfaire toutes les religions du Livre, les autres y étant assez indifférentes et la plupart des athées n'y voyant plus guère qu'une sorte de survivance et de patrimoine rhétorique. La constitution d'un « parlement des musulmans de Suisse » n'a donc guère de sens dans ce pays, d'autant que les rapports entre l'Etat et les religions, ou les églises, sont réglés par 23 constitutions cantonales différentes, les unes (fort rares puisqu'elles ne sont que deux, la genevoise et la neuchâteloise) laïques, les autres faisant droit à des églises « reconnues », c'est-à-dire, explicitement ou non, des églises d'Etat.
Nous en tenons ici pour une laïcité qui soit celle de notre temps, et non plus celles des temps héroïques du combat anticlérical. Il est vrai que nous n'ayant aucun compte personnel à régler avec aucune église ni aucune religion, nous pouvons nous offrir le suprême luxe de pouvoir voter un crédit de 400'000 francs pour rénover une basilique catholique, comme nous en voterions un pour rénover une mosquée, et de pouvoir écouter la Passion selon Saint Jean de Bach dans une salle municipale ou de contempler la Pèche Miraculeuse de Witz au Musée sans y voir un attentat scandaleux à la laïcité. Notre laïcité n'est même plus antireligieuse : elle est une indifférence souveraine à la religion, sauf à la considérer pour ce qu'elle est devenue : un fait de culture. Rien de moins, car c'est beaucoup, rien de plus, car ce serait trop.

La citoyenneté telle que nous la concevons n'est donc pas anti-religieuse, elle est simplement a-religieuse, indifférente à la religion. Un citoyen, une citoyenne, ne sont pas pas plus chrétiens, musulmans, bouddhistes ou athées qu'ils sont carnivores ou végétariens, amateurs de musique baroque ou d'Alain Morisod, lecteurs de Pascal ou de Bakounine : ils sont citoyen et citoyenne. Et cela suffit à les définir. La religion des sujets, des fidèles, des membres de la tribu, de la caste, de la horde, importe. Celle des citoyens de la République, non. S'ils en ont une, elle participe certes de la définition de leurs convictions politiques (ce sont ces convictions et ce qu'ils en font qui en font des citoyen-ne-s), mais leur revenu aussi, leur formation professionnelle aussi, leur âge aussi, leur genre aussi, leur situation familiale aussi. Dès lors, un « parlement des musulmans » (ou des chrétiens, ou des juifs, ou des adorateurs de l'oignon) n'a pas plus de sens qu'un parlement des commerçants ou un parlement des célibataires.
Ce n'est pas autour, ou au prétexte, de la religion qu'il convient de réunir ou de séparer les citoyens, mais autour des problèmes et des aspirations qu'ils ont en commun et vivent en commun : le travail, le logement, la santé, l'école, la culture... Il y a là assez à faire pour ne pas gaspiller les forces dont nous pourrions disposer pour le faire, en les éparpillant en autant de pseudo-parlements qu'il y a de fois religieuses possibles. Et le champ du possible est vaste quand il est aussi celui de l'irrationnel.

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