Après la « préférence cantonale », la « préférence municipale » ?


Les frontaliers, nouveaux Intouchables ?

La Ville de Genève doit « donner la priorité aux résidents genevois lors des engagements de personnel » dans ses services, demande une motion déposée en janvier au Conseil Municipal de la Ville par le MCG, motion dont le Conseil a refusé le traitement en urgence. D'abord parce que la social-xénophobie étant une nevrose endémique, on ne voit pas quelle urgence particulière il y aurait à en discourir. Ensuite, parce que le texte même de la motion est à l'image du parti qui l'a déposée : confus, péremptoire et démagogique. Mais assez dans l'air vicié du temps. Le discours tenu par les hérauts de la préférence de résidence est simple : on a besoin des frontaliers, mais au plus bas niveau de responsabilité possible, en recréant avec les frontaliers ce qu'on avait supprimé en abolissant le statut de saisonniers : une caste d'exécutants. Nos Intouchables...


Une trinité genevoise : la commune, le canton, la région


La « préférence cantonale » est politiquement assez tendance, à Genève, en ce moment (elle a même ses partisans à gauche). Au point qu'on ne s'étonne pas de la voir maintenant doublée d'une « préférence municipale », participant de la même logique et des mêmes calculs... et qu'on attend avec gourmandise la suite : une préférence de quartier, d’ilot, d'immeuble ou de palier... Après tout, s'il est légitime de privilégier l'embauche de résidents du canton dans un service public cantonal en oubliant la région au passage, il l'est tout autant de privilégier l'embauche de résidents de la commune dans un service public communal en oubliant le canton, ou de résidents du quartier dans un service de quartier en oubliant la commune... La Ville devrait encourager l'emploi des résidents de Genève en priorisant l'engagement de «résidents genevois» considère une motion èmecégiste au Conseil municipal de la Ville. On devrait donc, logiquement, comprendre que ce sont les résidents de la Ville de Genève dont l'emploi devrait être encouragé, par distinction des résidents des autres communes ? Ou alors de qui, et de quelle Genève parle-t-on ? des résidents du canton ? Des résidents de la région ? Car il y a bien trois Genève : la Commune, la République et la Région. Mais ce sont trois Genève en une, c'est notre trinité à nous. Une et indivisible, puisqu'aucune de ces trois Genève n'est concevable sans les deux autres. La Commune étoufferait sans la République, la République serait asphyxiée sans la région et il n'y aurait pas de région sans la Ville. « Sans les frontaliers, les hôpitaux universitaires genevois ne fonctionneraient simplement pas », reconnaît le Conseiller d'Etat Unger. Les TPG non plus ne fonctionneraient pas sans les frontaliers. Ni les Services Industriels. Ni l'Université. Ni la voirie. Ni le Grand Théâtre... et sans les frontaliers, la police ne fonctionne pas, et sans les frontaliers, le MCG ne sait pas de quoi parler...

Nous avons à défendre les travailleurs, les travailleurs en Suisse puisque nous sommes en Suisse, à Genève puisque nous sommes à Genève, en Ville de Genève puisque nous sommes en Ville de Genève, mais nous avons à les défendre toutes et tous. Indigènes et Immigrants, résidents et frontaliers, statutaires et sans papiers, salariés et indépendants. Et nous avons à les défendre d'abord contre le patronat, voire, le cas échéant, contre l'Etat (ou la commune) -pa les uns contre les autres, en choisissant celles et ceux qui méritent d'être défendus parce qu'ils votent et celles et ceux qu'on peut laisser tomber parce qu'ils ne sont électoralement pas intéressants. Nous avons à les défendre parce que nous sommes à Genève et qu'eux aussi. Et, qu'on nous pardonne cette distinction maurrassienne qui ne sort pas du pot commun des références de gauche, mais on parle pour ne rien dire si on se contente de parler de la Genève légale en oubliant la Genève réelle, et qu'on borne Genève à la Genève municipale de 200'000 habitants, ou à la Genève cantonale de 500'000 habitants, en oubliant la Genève de bientôt un million d'habitants dans 200 communes. Cette Genève là n'a sans doute encore aucune instance démocratique pour la représenter, mais toutes ses habitantes et tous ses habitants sont habitantes et habitants de la Genève réelle, toutes ses travailleuses et tous ses travailleurs sont travailleuses genevoises et travailleurs genevois, et toutes ses chômeuses et tous ses chômeurs sont chômeuses et chômeurs genevois. Ce sont eux, et elles, et leur situation réelle qu'il nous faut prioriser, et pas le hasard ou la nécessité de leur lieu de résidence.
Car si les pensées de certains ont peine à franchir les limites de la commune ou du canton, le chômage, le sous-emploi, les licenciements, la négation des droits sociaux et le dumping salarial, eux, les ignorent superbement, ces limites communales ou cantonales. Et tant qu'on confinera nos projets politiques dans notre bac à sable municipal ou notre pataugeoire cantonale, ces projets ne vaudront certainement pas le temps passé, ou plutôt trépassé, à en débattre.

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