ça sent les vacances...



Se refaire, se défaire...


On prend donc des vacances. Des quoi ? La vacance, étymologiquement, c'est le vide, l'absence, le manque. Les vacances, depuis un siècle, c'est le moment accordé aux travailleurs pour se refaire -c'est dire que leur travail les avait défait... La vacance, c'est le manque ? On ne sait pas (on en doute...) si on va vous manquer, mais on sait déjà qu'il ne tient qu'à nous que nos vacances soient un moment de vacuité béate ou de liberté curieuse, et que nous ne serons finalement absents que de quelques lieux, de travail ou de militance, que nous hantons sans trop savoir si nous y servons à quelque chose et à quelqu'un.


« La valeur des vacances, c'est la vacance des valeurs » (Edgar Morin)


Le capitalisme, qui s’est pourtant avancé sous la bannière de l’individualisme, a constitué un individu sans individualité A ceux qui pleurent ou font mine de pleurer sur la montée de l’individualisme, sur la dissolution individualiste des liens communautaires d’abord, sociaux (de classe...) ensuite, nous pouvons répondre, rassurants : « ne pleurez plus, ce que vous craignez n’est qu’un fantôme… ». Jamais troupeau ne fut plus moutonnier que celui des populations de nos sociétés « libérales ». Nos sociétés sont individualistes comme le camembert industriel est « fermier », « rustique » et «moulé à la louche». Nous partons donc tous en vacances l'été, et souvent pour nous agglutiner sous les mêmes cieux. Et là où il nous faudrait réinventer le nomadisme, nous ne faisons que nous approprier la transhumance.

Les vacances devraient être, et nous sont présentées comme étant, le moment où nous pouvons être autres que ce que nous sommes voués à être le reste de l'année... mais permettre une vie différente suppose la création d’espaces où une vie différente puisse être possible, et où les normes de la vie courante ne prévalent plus -ou plus forcément. Des lieux sans maîtres, des lieux sans conformité aux normes sociales. Les lieux de nos vacances sont-ils de tels lieux ? Et le temps de nos vacances, ce temps de liberté qu'on nous vante comme le temps qui, enfin, n'appartiendrait qu'à nous ? Poser ainsi la question, c'est évidemment y répondre : Le «temps libre» octroyé pour son plus grand profit par le capitalisme aux travailleurs n’est pas plus libre que le commerce que les transnationales laissent encore faire aux petites entreprises, et en fait de « liberté » il ne s’agit que celle d’une consommation accrue, souvent compulsive, des marchandises produites par les industries du tourisme, du spectacle et des media, grandes captatrices du temps salarié de « leurs » travailleurs.

Le salariat est le système même par lequel l’individu est dépossédé du temps, par l’échange illusoire du temps contre de l’argent (illusoire, puisque l’on ne peut jamais recouvrer le temps vendu, et que ce temps vendu est toujours, irrémédiablement, du temps perdu). Et  le temps du travail salarié pourrit tout le reste du temps, en continuant à le déterminer lors même que l’on passe désormais apparemment moins de temps sur son lieu de travail qu’ailleurs, quand le lieu de travail et l’ « ailleurs » ne se confondent pas purement et simplement. L’ « ailleurs » du travail aliéné est aliéné par ce travail, qui produit tout ce que le travailleur consommera lorsque apparemment il ne travaillera pas ou plus : les industries des loisirs, du tourisme, du spectacle, des media, n’exploitent ni n'aliènent pas moins le travail que les autres industries, et le travailleur consommateur des produits de ces industries consomme le travail qu’elles ont exploité et aliéné.

Nous partirons en vacances sans nous laisser aller à être vacants : nos rêves nous peuplent. La révolution n’est rien d’autre que le mouvement par lequel les dépossédés du temps en reprennent possession, et dépossèdent les maîtres du temps de leur maîtrise. La révolution n’est pas une prise de pouvoir, elle est une prise du temps. Elle n’est pas un changement du régime de propriété, elle est la revendication d’une propriété privée, personnelle, absolue, intransmissible du temps individuel. Elle n’est pas un renversement des dirigeants en place, elle est la volonté qu’il n’y ait plus du tout, jamais, de dirigeants du temps personnel des autres.

Bonnes vacances, camarades...

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