Huit millions d'habitants en Suisse : Et alors ?

L'impossibilité d'une île
Voilà, c'est fait, on est huit millions d'habitants en Suisse. Trois fois plus qu'il y a 150 ans, du fait de deux facteurs principaux : l'allongement de l'espérance de vie et l'immigration. Depuis 2000, c'est le solde migratoire qui constitue l'essentiel (80 %) de l'accroissement démographique, l'accroissement naturel pesant quatre fois moins. Du coup, les xénophobes façon UDC et les zoophiles façon Franz Weber montent aux barricades : on va être trop nombreux, il faut stopper « l'immigration de masse » (UDC), et en revenir à la Suisse « magnifique »  (pour qui ?) des années '40 et '50 (Weber). Si l'évolution actuelle se poursuit, la Suisse aura dix millions d'habitants dans vingt ou trente ans... et alors ? La Suisse n'a jamais été, n'est pas et ne sera jamais une île : il faudrait que quelqu'un l'explique à Robinson Crudécé et à Vendredi Weber...


On est trop nombreux en Suisse. Surtout les autres.

Deux initiatives « écoxénophobes »  ont été lancée contre la « surpopulation» de la Suisse : L'initiative « Ecopop » demande que l'accroissement de la population étrangère soit limité à 2 pour mille de la population par an, et qu'un dixième de l'aide au développement soit consacré à la contraception des métèques dans leurs pays de métèques. L'initiative de l'UDC contre « l'immigration de masse » va dans le même sens. Ces deux textes sortent du même tonneau national-conservateur, et nous annoncent l'arrivée sur le marché politique d'un nouveau produit : l'éco-xénophobie, concurrent de la social-xénophobie façon MCG. Et comme à l'accoutumée, une partie de la droite traditionnelle s'agrippe aux basques des xénophobes : le PLR propose ainsi de restreindre le droit au regroupement familial des immigrés.

En fait, la surpopulation d'un territoire comme celui de la Suisse est toujours relative aux ressources à disposition, et la Suisse, de ce point de vue, a toujours été surpeuplée, même avec les 500'000 habitants de l'an 1000 (sur le territoire de la Suisse actuelle), le million du début du XVIIe siècle, les deux millions de la moitié du XIXe, les 3,3 millions de 1900... Et si on nous annonce dix millions d'habitants en Suisse dans une génération, on ne nous annonce pas pour autant une Suisse « surpeuplée » : il y a largement assez d'espace disponible accueillir une telle population (et même une population supérieure), si on ne le gaspille pas, et la Suisse a une densité de population bien inférieure à celle des Pays-Bas. La population « optimale » est ainsi moins fonction de son nombre que des infrastructures à sa disposition. Le choix politique se fait là, précisément, sur la mise à disposition de ces infrastructures, sur la construction de logements, d'hôpitaux (et d'EMS), d'écoles, sur le développement des services publics, des transports publics, des lieux culturels...

La Suisse se rêve comme village, n'aime toujours pas ses villes (pourtant, un paysage urbain peut être plus beau qu'un paysage rural, et on nous autorisera à trouver Genève, Lausanne, Berne, Bâle ou Zurich plus belles qu'un champ de betterave), mais doit se résoudre à admettre que le choix se fait entre renforcer les villes existantes ou faire de tout le plateau, et d'une bonne partie du Jura et des préalpes, une vaste zone urbaine où se concentrera 90 % de la population du pays (75 % y vit déjà, en 2011). Le pays des Suisses change sans que les Suisses l'admettent : on est passé d'un pays de petites villes au milieu d'une grande campagne de plaine ou de montagne à un pays de villes encerclant des campagnes en partie protégées, et pour leur partie non protégée (la Suisse perd chaque jour 11 hectares de terres cultivables), grignotées par une « hyperville » couvrant bientôt tout le plateau, et dont au moins le tiers, voire la moitié de la surface est consacrée aux transports, essentiellement au transport automobile (routes, parkings), c'est-à-dire gaspillée par une mauvaise politique des transports...
Un pays, c'est un peuple, pas un paysage, ni un réseau routier. Et ce peuple est formé de toutes celles et de tous ceux qui vivent dans ce pays, qu'ils y soient nés ou qu'ils y aient immigré. Dans Le Matin Dimanche (du 12 août), Daniel S. Miéville pose à ce sujet une bonne question : « S'il arrivait (...) que tout ou partie des 700'000 Suisses vivant à l'étranger (rentraient) au pays, comment serait considérée (par les éco-xénophobes) la surpopulation qu'un tel afflux générerait ? ». Car enfin, les Suisses de l'étranger rentrant au pays sont bien des immigrants, l'immigration n'étant pas définie par la nationalité, mais par le fait de « venir de l'extérieur »...

Si la Suisse avait fermé ses frontières en 1980, elle compterait toujours six millions d'habitants, et si elle les fermait aujourd'hui elle en compterait encore huit millions dans vingt ans (en continuant de vieillir). La croissance de la population suisse ne peut provenir que de l'immigration, compte tenu du faible taux de natalité des indigènes, et du faible accroissement naturel (naissance/décès) de la population résidente, accroissement naturel est lui-même dû à la natalité des immigrants déjà installés. Dès lors, les initiatives qui se donnent pour objectif proclamé la réduction de la croissance démographique n'ont en réalité pour objectif réel la réduction de l'immigration. C'est cela, l'éco-xénophobie : proclamer que les atteintes à l'environnement sont dues à la surpopulation de l'espace disponible, pour ensuite s'en prendre à la part immigrante de cette population qu'on proclame excessive -mais dont ceux qui en dénoncent l'excès n'ont nulle intention de cesser de faire partie en émigrant dans des contrées moins peuplées.
Pourtant, il paraît que la Patagonie manque de bras (noueux)...

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