L'initiative 40:1 du patronat suisse : Huit millions pour les hauts salaires

Le patronat suisse ne mégotera pas sur la dépense, pour combattre l'initiative populaire demandant la limitation des salaires abusifs des grands patrons (dite « Initiative Minder », du nom de son auteur, Thomas Minder, patron lui-même). « Economiesuisse », la faîtière patronale, a annoncé l'engagement de cinq à huit millions de francs dans la campagne contre l'initiative. Le comité d'initiative, lui, disposera de quarante fois moins. La Jeunesse Socialiste avait lancé et fait aboutir l'initiative « 1:12 » qui demande que le plus haut revenu versé par une entreprise ne dépasse pas douze fois le plus bas ? Economiesuisse vient donc d'annoncer son initiative « 40:1 », qui accorde aux défenseurs des plus hauts salaires un budget quarante fois supérieur à celui des partisans de leur limitation. Un écart que les patrons trouveront sûrement raisonnable : en 2008, le patron de Novartis gagnait 700 fois le salaire de son employé (certainement une employée...) le plus mal payé...

Le patronat suisse, ou comment prendre l'argent là où il n'y en en pas et le laisser là où il y en a...


Pour « Economiesuisse », l'initiative demandant la limitation des plus hauts salaires de grands patrons « menace la place économique suisse » et ses emplois. Non seulement on ne voit pas en quoi, mais on voit même fort bien en quoi les rémunérations délirantes de certains grands patrons sont déconnectées de toute réalité économique -et même assez souvent de la santé de leurs propres entreprises, pour ne rien dire de celle des emplois.

Le Conseil fédéral, « fidèle à sa réputation de sagesse » nous dit la Tribune de Genève, avait pondu un texte mollachu (une « réponse claire et audible », selon la Tribune, qui a l'ouïe fine) sur les très, très hauts salaires et les bonus des top managers -un texte qui se voulait une sorte de contre-projet à l'initiative Minder dont, nous assure toujours la Tribune, « personne ne veut ». Sauf la gauche, mais elle compte pour beurre de cuisine. De toute façon, même mollachu, le projet du Conseil fédéral était récusé par la droite patronale. Qui veut bien faire semblant de désapprouver les trop hauts salaires ou les bonus indécents, mais surtout pas permettre à qui que ce soit, aux actionnaires ou, pire, à l'Etat, d'y mettre fin. Le Conseil fédéral partait du principe que le pouvoir des actionnaires (mais seulement celui des actionnaires, pas celui des salariés, faut quand même pas déconner) doit être renforcé. Et qu'un minimum de transparence sur les salaires et indemnités doit pouvoir être assurée. L'Assemblée générale des actionnaires de sociétés cotées en Bourse devrait pouvoir se prononcer chaque année, et de manière contraignante, sur la rémunération globale des membres du Conseil d'administration, et de manière consultative sur celle de chaque membre de la direction. Tout cela est certes louable, mais très, très prudent. Et la droite patronale, qui refuse de considérer les actionnaires d'une société comme ses propriétaires, estime que les actionnaires doivent faire confiance aux gens qu'ils élisent. Ou plutôt : que les plus gros actionnaires élisent. Et si les petits actionnaires ne sont pas contents, ils peuvent toujours revendre leurs actions. Cette droite patronale ne veut pas entendre parler d'une modification de l'équilibre des forces au sein des sociétés anonymes, même si cette modification ne profite qu'aux actionnaires et pas aux salariés. Elle ne veut surtout pas entendre parler d'une «démocratisation» de la prise de décision dans les entreprises, même si cette « démocratisation » ne renvoie qu'au scrutin censitaire et pas au suffrage universel. Et elle se contente donc des « codes de bonne conduite » que les entreprises élaborent elles-mêmes pour elles-mêmes, avant de choisir elles-même de les respecter ou non.
Economiesuisse va claquer au moins huit millions de francs, peut-être dix, pour soutenir le droit des plus gros patrons à recevoir en un jour une rémunération supérieure à celle de leurs employés en un an. Le syndicat patronal répartit ses engagements dans des campagnes politiques en trois catégories : celle sur les enjeux qu'elle juge les plus importants, avec des dépenses de plus de cinq millions de francs, celle sur des enjeux importants mais pas forcément fondamentaux (avec des engagements de deux à cinq millions), et les autres (à moins de deux millions). Pour contrer la volonté de l'«initiative Minder» et de la gauche de limiter les rémunérations des grands patrons, c'est donc l'une de ses campagnes les plus dispendieuses que mènera la faîtière patronale. Et elle en fera autant, sans doute, lorsqu'il s'agira de faire campagne contre le salaire minimum.

C'est logique, après tout : fidèle à son rôle et à la défense des intérêts de ses mandants, EconomieSuisse va défendre avec d'énormes moyens, une politique consistant à prendre l'argent là où il n'y en a pas (chez les pauvres) pour le laisser là où il y en a beaucoup (chez les patrons). Il eût été étonnant qu'il en fût autrement, mais on ne se privera pas ici du devoir de rappeler à ceux des socialistes qui sont prêts à laisser de grandes entreprises privées financer le parti, au même titre qu'elles financent les partis de droite, que le pognon qu'ils sont prêts à accepter vient de la même source que celui qui va tenter d'écraser sous son poids une initiative que le PS soutient...

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