Fonds de tiroir

A Genève, on construit. Lentement. On construit même des prisons au rythme de la construction des cathédrales au XIIIe siècle. ça fait plus de quarante ans que Genève s'était engagée à construire un établissement romand de détention pour 92 condamnés souffrant de graves troubles mentaux. La première pierre du machin a été posée en novembre 2009. Il devait être terminé en mars 2013. Délai repoussé une première fois à novembre 2013. Puis une nouvelle fois à avril 2014. Ou plus tard. La faute, dit-on, au mauvais temps et à la complexité architecturale du projet. Ou à pas de chance. Bref, la faute à personne. En plus, le coût de l'opération a augmenté de 5 millions et demi, pour atteindre 115 millions. Mais patience : elle se construira, cette prison. Et les autres avec. On y mettra le temps qu'il faudra, et le pognon qu'il faudra,  mais on y arrivera. Quand il s'agit de construire des prisons, on y arrive toujours. Contrairement aux logements sociaux, aux théâtres ou aux musées...

 Un frapadingue armé (entre autres ustensiles, d'un pistolet suisse) a massacré vendredi dernier 26 personnes, dont sa mère et 20 enfants dans une école de Newtown, dans le Connecticut (aux USA), avant de se liquider dans la foulée. Aux-Etats Unis, titrent tous nos media, c'est la « stupeur ». La stupeur ? Michael Moore rappelle qu'en treize ans, il y a eu 31 fusillades scolaires aux USA, où circulent 300 millions d'armes (une par habitant) et où 10'000 homicides sont commis chaque année par armes à feu, soit trois pour 100'000 habitants. Six fois plus qu'au Canada, 50 fois plus qu'en France... Au bout du compte, les flingueurs américains massacrent plus d'Américains en une année qu'Al Qaïda en dix ans. Sur sa radio, un évangéliste a eu l'explication définitive du carnage de Newtown :  si on massacre dans les écoles américaines, c'est que Dieu n'y est plus « invité ». Ah bon, il lui faut un carton d'invitation, au Tout Puissant, sinon il laisse faire les tueries ? Il a son petit amour propre, l'Omniprésent ?
« Et si quand même Dieu existait ? Il faudrait s'en débarrasser ! », chante Ferré (sur des paroles de Bakounine).

Le directeur général de Vitol, le plus important négociant de pétrole (300 milliards de dollars de chiffre d'affaire), installé à Genève depuis 40 ans, qui y emploie 180 personnes (et qui vient de racheter la première raffinerie suisse, à Cressier), est inquiet : les pressions pour une réforme fiscale abolissant la fiscalité d'exception dont bénéficie le négoce international à Genève vont aboutir, et si un taux d'imposition unifié à 13 % convient au pétrolier, il n'est pas sûr qu'on ne le fixera pas plus haut : « Le successeur de David Hiler sera-t-il aussi favorable à la nouvelle fiscalité du négoce à Genève », s'interroge-t-il dans «Le Temps» de samedi (il faudrait plutôt traduire son interrogation par un inquiet « la nouvelle fiscalité du négoce à Genève nous sera-t-elle aussi favorable que celle que nous propose David Hiler ? ». Il a bien dit LE successeur, pas LA success... euh... successrice ? successeuse ? successoresse ?
Dis, Sandrine, c'est quoi le féminin de « successeur de Hiler» ?

Voilà, c'est fait, comme prévu le canton de Genève entrera dans l'année 2013 (et y restera un moment) sans budget. en fonctionnant sous le régime des «douzièmes provisoires» (ou provisionnels), c'est-à-dire la reconduction du budget 2012 découpé en tranches mensuelles, ce qui bloque toute une série de décisions, y compris celles voulues par la droite (dont des postes pour la police, la prison et la justice). Les fronts politiques au Grand Conseil n'ont en effet pas bougé, la droite ayant refusé successivement le premier et le second projet du gouvernement, et la gauche rappelant que l'impasse financière dans laquelle se trouve la canton est due aux baisses d'impôts. Le « front du refus » de droite (UDC, MCG, PLR) ne s'est donc pas fissuré, même si les justifications données, et les propositions faites, par les uns et les autres varient : le PLR annonce qu'il ne votera qu'un budget « équilibré » (c'est-à-dire préalablement déséquilibré par les cadeaux fiscaux imposés par le même PLR) et veut couper à la hache dans le budget de l'Instruction publique,  l'UDC exige plus d'« économies » (mais surtout pas dans les budgets sécuritaires), le MCG veut tailler dans la solidarité internationale et ne pas remplacer un départ de fonctionnaire sur deux... le plus comique de l'histoire, c'est que le premier effet du dogmatisme budgétaire de la droite a été le refus de voter une autorisation d'emprunt pour créer un parking de 310 places à Artamis, projet qui fait l'objet d'un accord avec le TCS... le lobby des parkings et des bagnoles qui se tire une balle dans le pneu, vous on sait pas, mais nous, ça nous fait plutôt rigoler...

Le juge Pohl, chargé du procès du cerveau présumé des attentats du 11 septembre 2001, Khalid Cheikh Mohammed, et de ses quatre complices présumés, a ordonné que les techniques d'interrogatoires «renforcées» (c'est-à-dire les tortures, pour parler clair) subies par les accusés soient tenues secrètes, au nom de la « sécurité nationale ». Mais on sait déjà, par un rapport de la CIA rédigé en 2005, que Khalid Cheikh Mohammed a été soumis 183 fois à des simulacres de noyade, en mars 2003, après son arrestation au Pakistan. Et en 2009, l'administration Obama avait publié un rapport rédigé par l'administration Bush, qui décrivait les traitement subis par les personnes suspectes de « terrorism ». Or aujourd'hui, la même administration Obama dénie à ces mêmes personnes le droit de parler de ce qu'elles ont subi. Le slogan des commissions militaires américaines (des tribunaux militaires) est : « justesse, transparence et justice ». Trois mots qui en anglo-américain ne veulent plus dire grand chose. Sinon que comme la première victime de toute guerre est la vérité, la deuxième, la troisième et la quatrième de la « guerre contre le terrorisme » sont précisément la « justesse », la « transparence » et la « justice ».

Le rapport de la Cour des Comptes sur le rachat des actions de la Rente Immobilière par la Fondation pour le logement bon marché (FPLC) est enfin sorti. C'est le rapport dont le magistrat Daniel Devaud accusait ses collègues de bloquer la sortie, ce qui lui avait valu plusieurs altercations avec l'irrascible Stéphane Geiger, autre magistrat de la Cour des Comptes, et leur a valu à tout deux de voir leur immunité levée par le Grand Conseil. Et qu'est-ce qu'il dit, le rapport ? Il dit qu'en effet, comme Devaud l'affirmait déjà dans une première version du rapport, le rachat des actions de la Rente par la Fondation s'est soldé par un surcoût de deux millions de francs. La Fondation avait racheté 93 % des actions de la Rente en 2008, pour 21 millions de francs, mais la rente possédant 34 immeubles, soit 778 logements, et trois terrains constructibles pour 70 logements possibles, le coût de ce premier rachat n'est pas jugé excessif par la Cour. C'est le coût du rachat des 7 % d'actions restantes qui paraît excessif : il se basait sur une valeur de 1000 francs l'action, alors que l'action ne valait que 590 francs. le rapport constate en outre (ou plutôt confirme, puisque là encore Devaud l'avait déjà noté) des liens d'intérêts entre certains membres du Conseil de fondation de la FPLC et des détenteurs d'actions que la même FPLC a achetées a un prix surfait. La Cour recommande donc de «neutraliser»  le surcoût de l'opération, soit en augmentant le prix d'un immeuble à vendre aux dits actionnaires, soit en renonçant à l'achat de leurs actions. Tout ça pour ça, direz-vous, public insatisfait ? Ben oui, tout ça pour ça...

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