Après le « printemps arabe »... ... l'hiver islamiste ?


Chokri Belaid, secrétaire général du Parti des patriotes démocrates, et l'un des dirigeants de la coalition de gauche (le Front Populaire) a été assassiné à Tunis. Les militants de l'opposition de gauche au gouvernement islamiste tunisien ont immédiatement rendu ce gouvernement responsable de cet assassinat. Que ce soient des partisans d'Ennahda ou non qui aient abattu Chokri Belaid, le gouvernement en place porte forcément une part de responsabilité dans ce meurtre. Précisément parce qu'il est en place, et que le moins que l'on puisse exiger d'un gouvernement aspirant à quelque légitimité est d'empêcher que des responsables politiques soient assassinés pour les punir de leur choix et de leurs actes politiques.

« Chronique d'une mort annoncée » : celle de la révolution ?

La Tunisie a été le premier pays où le «printemps arabe» de 2011 a réussi à faire tomber une dictature qui convenait fort bien à la « communauté internationale ». Elle a aussi été le premier pays où la révolution démocratique a été confisquée par les islamistes. Elle est aujourd'hui, avec l'Egypte, le pays d'un hiver étouffant les promesses du printemps. En Tunisie, les islamistes au pouvoir, au moins jusqu'à avant-hier (le Premier ministre, l'un des leur, a annoncé pour calmer la colère poipulaire après l'assassinat de Chokri Belaïd, la formation d'un nouveau gouvernement de «techniciens»), ont, pour le moins, laissé la violence politique s'installer. Et leurs partisans en user contre leurs adversaires. Quelques jours avant que leur leader soit assassiné, des militants du parti de Chokri Belaïd avaient été agressés par des islamistes et il y a quelques mois c'est un cadre du parti de droite Nidaa Tounès qui était assassiné, des meetings de l'opposition (de gauche comme de droite, puisque le clivage en Tunisie semble opposer non la gauche à la droite, mais les islamistes aux démocrates au sens le plus général du terme, des libéraux à la gauche socialiste) ont été attaqués, des militants, des élus, des journalistes, des artistes ont été agressés par des partisans du gouvernement, ou par les Ligues de protection de la révolution, dont Ennahda, les détournant de leur vocation initiale, a fait sa milice, ou par l'aile la plus radicale, salafiste, de l'islamisme politique. Les méthodes des islamistes tunisiens sont aujourd'hui les mêmes que celles du régime de Ben Ali. Et leurs victimes aussi sont les mêmes.

Le « Printemps arabe » avait été une surprise, non seulement pour les régimes qui y succombèrent, mais aussi pour les gouvernements européens et américains. Ce printemps n'était pas prévu. On s'était habitué, dans les « chancelleries », à Ben Ali, à Moubarak, et même à Kadhafi. On voyait dans leurs pouvoirs dictatoriaux et corrompus un «rempart contre l'islamisme». On voit d'ailleurs toujours ainsi les régimes marocain et algérien. Mais si en Tunisie et en Egypte, les régimes dictatoriaux ont été renversés par des révolutions populaires, dans le reste du « monde arabe » (on usera de cette dénomination en la sachant pour le moins simplificatrice), le « printemps arabe » n'a accouché en Libye que d'une intervention militaire étrangère pour se débarrasser d'un clan devenu encombrant, ou en Arabie Saoudite, au Qatar, dans les émirats sur des mouvements défaits par la répression. En Algérie et au Maroc, les régimes en place y sont restés, au prix de quelques concessions matérielles ou symboliques. Et puis, il y a en Syrie, une véritable guerre civile sans issue prévisible, et au moins un régime dont la mainmise islamiste sur le pouvoir en Tunisie et en Egypte fait le jeu, comme repoussoir, et qui ne cesse de se présenter comme un « rempart contre le terrorisme » (islamiste) -terrorisme dont il use lui-même et qu'il a par ailleurs largement financé un peu partout depuis quarante ans...
Les islamistes (Ennahda en Tunisie, les Frères Musulmans en Egypte) avaient été perçus par les pouvoirs en place comme la plus dangereuse de leurs oppositions. Ils ne furent pas les seuls, loin de là, à subir la répression dont ces régimes, à masque laïc, usaient et abusaient, mais ils furent finalement les seuls à réussir à y survivre comme une force politique capable de ressurgir après la chute des dictatures, en s'appuyant sur les « masses silencieuses » des quartiers populaires et des arrière-pays.  Ce ne sont pas les islamistes qui firent les révolutions du « printemps arabe », mais ils furent les seuls à être capables d'en profiter pour accéder au pouvoir. Comme si le destin des révolutions populaires était toujours d'être récupérées, confisquées, détournées... comme s'il était fatal que 1789 accouche de Napoléon, 1848 de son neveu, 1917 de Staline, et le « Printemps arabe » d'Ennahda et des Frères Musulmans...

L'assassinat de Chokri Belaid relève, a dit un militant de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, de la « chronique d'une mort annoncée ». Est-ce qu'au moins, il peut dépendre encore un peu de nous, ici, qu'il en soit autrement  là-bas, et que la « mort annoncée » de Chokri Belaid ne soit pas aussi celle de la « révolution de jasmin » ?

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