De la criminalisation de l'asile comme symptôme

Silence, on épure !

La table-ronde organisée jeudi 14 février à Genève* par solidaritéS pour poser la question « quelles réponses face à la criminalisation de l'asile et de la migration à Genève ? » s'inscrit certes dans le contexte du démantèlement du droit d'asile, mais aussi, plus largement, dans celui d'une véritable politique d'épuration sociale s'en prenant, comme on ne s'en étonnera pas, non aux groupes sociaux et professionnels qui menacent le plus réellement le « lien social », mais à des groupes sociaux, plus faciles à atteindre et plus éloignés socialement et politiquement des partisans de cette politique : les consommateurs de drogues illégales, les petits délinquants, les mendiants rroms et, donc, les requérants d'asile déboutés. Des cibles faciles. Avant lesquelles ?
* 20 heures, Maison des associations


« Quand ils sont venus m'arrêter, il n'y avait plus personne pour me défendre »

Qu'il faille réinvestir l'espace public pour le rendre à toute la population, et donc combattre sa privatisation par les toxicos et leurs fournisseurs, on n'en disconviendra pas; qu'il faille aussi répondre à une petite délinquance qui n'est qu'une violence contre les plus fragiles, on n'en disconviendra pas non plus. Mais s'agissant des requérants d'asile, ce n'est pas à des gens qui menacent la sécurité que l'on s'en prend, ni à des groupes sociaux confisquant l'espace public, puisqu'ils en sont déjà exclus...

A force d'arbitraire et de vexations, on tente de pousser les requérants déboutés à quitter la Suisse. Et on réussi surtout à les pousser dans la clandestinité, en Suisse. En 2011, le seul canton des Grisons recensait 158 expulsions, 58 départs volontaires, mais deux fois plus (128) de «disparitions». « C'est pas un problème » commentent les autorités, puisqu'on n'entend plus parler de ces gens et qu'ils ont disparu aussi des statistiques de l'asile. Même si c'est pour entrer, faute d'autres moyens de survivre, dans celles de la délinquance. En attendant quoi, on les déporte le plus loin possible des villes. Au Flüeli, dans les Grisons, on sont stockés à 1300 mètre d'altitude, les requérants déboutés et expulsables, ils ne reçoivent l'aide d'urgence qu'en nature (nourriture, articles d'hygiène de première nécessité). Ils n'ont droit ni à des cartes de téléphone, ni à des billets de transports. Pour se rendre à Landquart, à dix kilomètre, ils doivent emprunter à pied une route parfois coupée l'hiver. Ils doivent faire leur cuisine eux-mêmes avec la nourriture qu'on leur amène deux fois par semaine. Leurs contacts sociaux sont limités au strict minimum. Le périmètre du centre de rétention est interdit.

Il faut décidément relire Foucault : on en revient benoîtement aux deux obsessions qui accompagnèrent (et que nourrissait) la bourgeoisie dès le milieu du XVIIIOe siècle : surveiller et punir. Pour surveiller, la technologie a fait d'infinis progrès, et le panoptisme des prisons classiques se dote aujourd'hui de la vidéosurveillance. Pour punir, en revanche, la peine de mort en moins (du moins en tant qu'élément de notre arsenal légal), on en est restés aux bonnes vieilles recettes carcérales. Avec les projets de créer des centaines de places de détention supplémentaires à Champ-Dollon, à Frambois, à Cointrin, et ceux de nouveaux centres « spéciaux », c'est à une proportion record de plus d'un détenu pour 500 habitants que l'on atteindrait à Genève.
L'exclusion sociale, l'enfermement carcéral, l'expulsion physique des requérants d'asile ne sont donc que la face la plus apparente d'un dispositif général de retour à un contrôle social plus contraignant, et potentiellement plus totalitaire lors même qu'il s'effectuerait dans un cadre démocratique; il est d'ailleurs assez largement et majoritairement soutenu dans la population -ce qui ne saurait nous dissuader de le combattre, non (ou non seulement) par amour des postures minoritaires, mais parce que nous savons d'expérience que ce genre de dispositif finit toujours par se retourner contre une bonne partie de ceux qui l'appelaient de leur vœux, le soutenaient, ou pensaient pouvoir s'en accommoder. Tous contextes et toutes gravités des actes commis incomparables, c'est à nouveau le vieux constat du pasteur Martin Niemöller que cela nous remet en mémoire : quand ils sont venus arrêter les juifs, puis les tziganes, je n'ai rien dit, je ne suis ni juif, ni tzigane; quand ils sont venus arrêter les communistes, je n'ai rien dit, je ne suis pas communiste; quand ils sont venus arrêter les socialistes, puis les libéraux, je n'ai rien dit, je suis apolitique; quand ils sont venus arrêter les homosexuels, je n'ai rien dit, je suis hétéro. Quand ils sont venus m'arrêter, il n'y avait plus personne pour dire quoi que ce soit en ma faveur...


Avec une place de détention pour 500 habitants à Genève, il y en aura bien une petite pour nous.

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