« Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine »

L'accès et l'abcès

Au départ, c'était une motion bénévolente déposée par des conseillères et conseillers municipaux des trois groupes de l'Alternative, une proposition relevant de l'évidence, mais qu'il nous fallut deux heures de joutes oratoires pour faire accepter; elle demandait que les réductions de tarifs d'entrée dans les institutions culturelles et sportives de la Ville de Genève soient étendues aux bénéficiaires de l'aide sociale accordée par des institutions publiques et privées, et que ces bénéficiaires en soient informés. Rien de bien révolutionnaire, tout de bien raisonnable... mais voilà, on est déjà en période électorale, et l'extrême-droite (le MCG et l'UDC) avait une furieuse envie de se faire entendre sur un sujet où règne plutôt son mutisme. Mais comment se faire entendre sur une proposition à laquelle on ne peut pas -ou n'ose pas- s'opposer et qu'on regrette sans doute de n'avoir pas déposée soi-même ? Eh bien, en parlant de tout autre chose. De tout et de rien. Surtout de rien. Mais en en parlant très fort. La proposition parlait d'accès à la culture ?  On en fit un abcès d'inculture, et cette petite étincelle mit le feu à toute la (petite) plaine du Conseil Municipal..
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De l'analyse concrète des propositions concrètes en période électorale


Donc, on résume : au Conseil Municipal de la Ville de Genève, il s'agissait d'accorder aux bénéficiaires de l'aide sociale accordée par le service social de la Ville, l'Hospice Général et les institutions privées, une réduction sur les tarifs d'entrée dans les institutions culturelles et sportives; de faire en sorte que le service social, l'Hospice Général et les institutions privées accordant une aide sociale, informent  les personnes la recevant des réductions de tarifs auxquelles elles ont droit, et leur fournissent les justificatifs nécessaires et que toutes les réductions de tarifs soient bien affichées, en bonne et lisible place, à l'entrée des lieux concernés. Voila. Rien de plus, rien de moins.
Pourquoi ces demandes ? Parce que les diverses révisions (à la baisse) des dispositifs légaux, fédéraux et cantonaux, définissant les droits aux prestations des assurances sociales et à l'aide sociale, ont à la fois accru le nombre de personnes ne disposant plus que de l'aide sociale pour survivre, et la précarité de leur situation matérielle. A Genève, Selon les statistiques de l'Hospice Général, entre décembre 2008 et août 2012, le nombre de dossiers financiers d'aide sociale est passé de 5436 à 7732, le nombre de bénéficiaires du revenu minimum d'aide sociale (RMCAS, supprimé l'année dernière) de 1413 à 2394, le nombre de dossiers d'aide sociale en cours de traitement de 652 à 864. Au total, les dossiers traités par l'Hospice depuis 2008 sont passés de 9300 à 12127.

Pour des gens (quel que soit leur âge) qui n'ont que l'aide sociale pour survivre, comme pour ceux qui ont besoin d'une aide complémentaire à leur bas revenu pour pouvoir assumer leurs charges,  toute dépense autre que celles consacrées à l'essentiel (la nourriture, le logement, les soins non couverts par l'assurance-maladie et les déplacements non couverts par la prise en charge d'un abonnement de transports publics) est pratiquement impossible, à moins d'être réduite au minimum. Il en va ainsi de tout ce qui relève de la vie sociale, et en particulier des dépenses à consentir pour le sport et la culture. D'entre ces dépenses rendues quasiment impossibles par l'extrême réduction des ressources dont ces personnes disposent figurent les tarifs d'entrée dans les institutions culturelles ne pratiquant pas la gratuité pure et simple, comme les bibliothèques ou les musées (pour leurs collections permanentes). Cette population est ainsi, matériellement, privée d'accès réel à un droit fondamental.
Or si les moyens accordés à la Ville de Genève pour favoriser l'« accès la culture » lui permettent d'accorder toute une série de réductions de tarifs à plusieurs catégories précisément définies de la population, aucune réduction spécifique n'est accordée inconditionnellement aux personnes recevant une aide sociale,  alors même que les critères d'attribution d'une telle aide sont assez précis, et les procédures de vérification de ces critères assez strictes, voire suspicieuses, pour que l'on soit pratiquement assuré que les personnes la recevant soient réellement démunies de ressources financières suffisantes -au contraire de nombre de personnes bénéficiant de rabais en raison de leur âge, sans forcément qu'elles aient quelque difficulté financière à payer un tarif plein. En conséquence de quoi un millionnaire de 65 ans a droit à des réductions de tarifs dans les lieux culturels et sportifs -mais un « travailleur pauvre » de 40 ans devrait, lui, payer plein tarif. S'il le pouvait. Et comme il ne le peut pas, il (c'est-à-dire, le plus souvent, elle...) reste chez lui.
La motion qui nous occupa pendant deux heures proposait ainsi d'étendre aux personnes les plus précarisées et aux ressources financières les plus réduites, celles qui, pour cette raison même, reçoivent une aide sociale du Service social de la Ville, de l'Hospice Général ou d'institutions privées, les dispositifs de réduction des tarifs d'entrée dans les lieux culturels et sportifs municipaux (ou liés à la Municipalité). C'était simple, clair, logique, aisé à admettre et à soutenir : Par l'élargissement du nombre des bénéficiaires de l'« accès à la culture », et par leur information sur les possibilités qui leur sont offertes d'en bénéficier, c'est l'«accès à la culture» de la population la plus précarisée, et la plus éloignée de cet accès, que nous voulons assurer, et que nous demandons à la Municipalité d'assurer.

Les périodes électorales, on le sait, ne sont propices ni au déploiement de l'intelligence politique ni à celui de la capacité d'« analyse concrète des propositions concrètes » -mais faut-il attendre que passent les élections pour faire notre boulot de conseillères municipales et de conseillers municipaux ? De gauche, certes. Mais il va bien falloir que l'extrême-droite s'y fasse et admette que ses beuglements n'y pourront rien.

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