Nationalité : De souche ou de choix ?

Exit la « naturalisation facilitée », passons à la « naturalisation entravée »: la nouvelle loi sur la naturalisation ferait certes passer de douze à huit ans (ou dix ans selon le Conseil national) le minimum de résidence légale pour espérer obtenir la nationalité suisse,  mais alors que dans les douze ans requis par la loi encore en vigueur on comptabilisait toutes les années passées sous n'importe quel permis de séjour ou de résidence, on ne prend plus en compte que celles passées avec un permis C, et on y ajoute des exigences d'« intégration » (connaissance de la langue et des institutions locales) dont on aimerait bien savoir comment, et par qui, elles vont être vérifiées : va-t-on faire passer des examens de langue et de connaissance des institutions à ceux qui feront passer des examens de langue ou d'institutions? Parce qu'enfin, quels efforts avons-nous fait pour l'être, nous, « Suisses de souche », sinon celui de naître ? Sommes-nous le Comte des «noces de Figaro», et les candidats à la naturalisation sont-ils Figaro  ?

Cause à ma souche, ses surgeons sont malades


C'est devenu un truisme, un lieu commun, le couinement d'un moulin à prières : l'« intégration est la condition de base de la naturalisation », comme l'écrit l'ancien directeur du HCR, Alexandre Casella, dans Le Temps du 5 avril. Précisons, au risque du pléonasme : de la naturalisation des étrangers. Ou pour le dire de manière moins tautologique : de l'acquisition d'une nationalité par qui ne l'a pas acquise en naissant. Parce que pour les indigènes, il n'y a pas de condition à l'acquisition de la nationalité, sinon la nationalité des parents (ou de l'un des deux parents). L'auteur de ces lignes est-il « intégré » ? Peu importe, puisque le spermatozoïde à son origine est sorti d'une couille helvétique AOC (on ne se préoccupait pas de la nationalité de la mère, à l'époque).
L'« intégration » serait « la condition de base de la naturalisation », donc. Plus précisément l'est-elle devenue. Parce que jusqu'alors, on ne s'en préoccupait guère. On ne fixait comme «condition de base», dans les Etats pratiquant, comme la Suisse, le « droit du sang » (acquisition de la nationalité par celle des ascendants) que la durée du séjour (douze ans en Suisse, huit ans ou dix dans la loi révisée; dix ans en Autriche; huit ans en Allemagne; cinq ans en Grande-Bretagne). Mais partout, désormais, à cette « condition de base » s'en ajoutent d'autres : la connaissance de la langue, voire des institutions (comme en Grande-Bretagne) ou des moeurs et traditions. On demande ainsi aux étrangers ce qu'on ne demande pas aux indigènes.

Au fond, les étrangers nés en Suisse devraient avoir autant de droit à être Suisses que nous, «Suisses de souche» (c'est tout le sens du «droit du sol », que la gauche défend -ou qu'elle est supposés défendre). Quant aux étrangers nés à l'étranger, la question est de savoir ce qui, de la naturalisation ou de l'intégration, peut être posé comme une condition et ce qui peut être envisagé comme une conséquence. Nous sommes de ceux pour qui la naturalisation n'est pas une conséquence mais une condition de l'intégration, et il en découle, logiquement, qu'on ne peut pas poser l'intégration comme une condition de la naturalisation, puisqu'elle en découle -ça va, dans le fond, à droite, vous suivez le raisonnement ?
Et le raisonnement de la droite, vous le suivez, à gauche, quand il commence par refuser d'accorder les droits politiques aux étrangers résidents en pontifiant « z'ont qu'à devenir Suisses », pour ensuite les empêcher précisément de le devenir, ou leur imposer de telles conditions pour le devenir qu'en 2011, par exemple, moins de 2 % de la population étrangère résidant à Genève (le canton pourtant réputé le plus « ouvert » à l'« étrangeté nationale ») avait pu acquérir la nationalité suisse, et que moins de 1 % de la population genevoise peut acquérir la nationalité suisse par naturalisation ?
Le discours dominant est toujours que la nationalité suisse doit rester un privilège accordé par la Suisse aux métèques. En même temps qu'un héritage congénital pour les indigènes. C'est ce discours, et ces conséquences sur la législation, que nous récusons. Et nous récusons du même mouvement tout le dispositif à la fois suspicieux, bureaucratique et tribal par lequel ce discours et législation passent pour être imposés. Par exemple, les commissions municipales de naturalisation, dont nous ne cesserons de demander purement et simplement la suppression, pour la double raison qu'elles sont superfétatoires puisque le droit de cité n'est plus prioritairement municipal mais d'abord fédéral (puis municipal par réfraction), et qu'elles sont, par le fait même qu'elles sont dérisoires, l'exemple même d'une conception dérisoire de la nationalité. Dérisoire parce que confondant la nation à laquelle on adhère par acte de volonté et la tribu dont on est par fatalité.
On ne nous a jamais demandé si nous voulions ou non être Suisses, à nous, qui le sommes « de souche » et on n'a jamais vérifié si nous « méritions de l'être».
Mais que diable peut-on demander à une souche ou à ses surgeons ?

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