Initiatives écoxénopobes de l'UDC et d'Ecopop : Le fantôme de Malthus

Par 128 voix contre 49 (celles de l'UDC), le Conseil national a balayé avant les vacances l'initiative populaire de l'UDC «  contre l'immigration de masse ».  Après l'initiative udéciste, ce sera au tour de l'initiative «écoxénophobe»  d'« Ecopop »  d'être soumise à l'examen du parlement, puis à l'approbation du peuple. Ces deux textes, celui de l'UDC et d'Ecopop, sont de la même eau: au prétexte de lutter contre les effets nuisibles d'une croissance effrénée, ils fixent des quotas, des plafonds, des contingents à l'immigration : L'UDC et Ecopop prétendent vouloir « maîtriser la croissance » en réduisant l'immigration, qui n'est que la conséquence de la croissance... Des « décroissants »  de cette farine, le bon pasteur Malthus en trempait tous les matins dans son thé...

Casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre ?


Pour l'UDC comme pour Ecopop, l'immigration est la cause d'une croissance non maîtrisée et foncièrement nuisible. Mais c'est inverser, stupidement ou par calcul, la cause et la conséquence : c'est parce que la Suisse est prospère qu'elle est pays d'immigration (nous écrivons bien  « la Suisse », pas tous les Suisses et toutes les Suissesses, proportions gardées entre la pauvreté ici et la misère ailleurs) -et quand la Suisse était pauvre, elle était pays d'émigration... « Un débat de pays riche », résume Le Temps. Riche, démocratique et en paix, en effet : il ne sous semble pas qu'il ait lieu en Corée du Nord., en Syrie ou en Somalie.
L'initiative udéciste, qui demande l'introduction de contingents annuels concernant en même temps les salariés bénéficiant d'un emploi, les nouveaux arrivants sans emploi, les réfugiés et les frontaliers, sera donc soumise au peuple, sans contreprojet, avec un préavis défavorable des Chambres fédérales : de la droite démocratique à la gauche socialiste, pour des raisons évidemment différentes et contradictoires mais se rejoignant dans un même refus, mettant en évidence ses défauts rédhibitoires : plafonds d'immigration artificiels et arbitraires, production d'une bureaucratie chargée de les faire respecter, confusion entre les différentes composantes de l'immigration, intégration des frontaliers dans des contingents d'immigrants alors que par définition ils n'immigrent pas, ignorance des spécificités régionales.

L'UDC dénonce une «  immigration de masse ». De masse ? Il faut cinq ans pour que le solde migratoire positif de la Suisse équivale à la population de la commune de Zurich. Ce solde migratoire n'atteint que 1 % de la population résidente, et il en permet un semblant d'équilibre démographique et social :  La majorité des immigrants sont en âge, en désir, et en capacité, de travailler (85,7 % d'entre eux avaient entre 20 et 65 ans en 2009, et les deux tiers avaient moins de 40 ans...). En âge de travailler, et en âge d'enfanter (l'« indice de fécondité »  -quel terme détestable, soit dit en passant... ) des femmes suisses s'étant établi en 2009 à 1,5 enfant par femme en âge de procréer, soit un enfant de moins qu'en 1950.

Le modèle de croissance qui s'applique aujourd'hui à la Suisse est certes contestable dans ses présupposés productivistes et quantitatifs, et nuisible dans ses effets : crise du logement (et du logement social en premier lieu), crise des transports, et même, dans certaines régions (l'Arc Jurassien, la Suisse orientale), départ des populations les mieux formées vers les  « métropoles » zurichoises et valdo-genevoises -mais ni ces présupposés, ni ces effets ne sont la conséquence de l'immigration : au contraire, c'est la croissance qui est la cause de l'immigration. Et limiter l'immigration légale (la seule que l'on puisse limiter par la loi...) n'aura aucun effet sur la croissance, ni sur ses dommages collatéraux. Ni même sur l'immigration globale, puisque les fameux «  besoins de l'économie »  sont tels que si elle ne peut faire appel à une immigration légale, elle se satisfera fort bien d'une immigration illégale, sous-payée, sans protection sociale, taillable, corvéable et licenciable à merci. Et si l'immigration illégale n'offre pas les qualifications nécessaires aux « besoins de l'économie », eh bien on fera comme à Genève ou au Tessin : on puisera dans la main d'oeuvre frontalière -qui n'est, par définition même (ce qui rend l'initiative udéciste inapplicable, même si elle devait être approuvée), pas concernée par un contingentement de l'immigration puisqu'elle n'est pas immigrée...

Pour faire passer une initiative foncièrement xénophobe, on (l'UDC, Ecopop) agite le spectre d'une «surpopulation» de la Suisse -surpopulation dont ces malthusiens de carnaval rendent l'immigration responsable, puisque c'est sur elle qu'ils veulent agir. Mais une Suisse de dix millions d'habitants ne sera (on y arrivera, tôt ou tard, à moins d'un cataclysme...) pas un cauchemar, si les infrastructures suivent l'augmentation de la population. Quant à ceux que l'immigration terrifie, nous n'avons qu'une solution, une seule, à leur proposer : appauvrissons massivement ce pays, réduisons notre niveau de vie, de salaires, de revenus, de fortune, de protection sociale et d'exercice des droits démocratiques au niveau des pays d'émigration. Quand on sera dans la même mouise que les Grecs, les Portugais ou les Espagnols et aussi libres que des Biélorusses, on n'aura plus à se préoccuper des effets de la « libre circulation ». Du moins dans le sens de l'entrée en Suisse. Parce que dans le sens de la sortie (de la sortie de Suisses et de Suissesses émigrant vers des cieux plus cléments, comme au XIXe siécle...), il va falloir les canaliser les foules d'Helvètes fuyant l'Helvétie. Comme il y a 2050 ans, quand César coupait à Genève le pont du Rhône pour les empêcher de migrer vers le sud...

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