Immigration : un argumentaire patronal à côté de la plaque

Du thermomètre migratoire

Voilà, c'est parti. Quoi donc ? la campagne pour et contre la Nème initiative xénophobe de l'UDC. Qui se retrouve dans sa posture favorite, très Urschweizerisch, du « seule contre tous ». Pas tout à faite seule et pas vraiment contre tous, (le MCG, la Lega, diverses formations d'extrême-droite plus ou moins groupusculaires et divers publicistes plus ou moins crépusculaires soutenant les blochériens dans leur projet), mais peu importe la réalité -c'est l'image qui compte. Le Conseil fédéral, les « milieux de l'économie » et les partis de la droite démocratique se coalisent contre l'initiative udéciste, la gauche faisant quant à elle campagne autonome avec le même objectif (l'échec de l'initiative), mais avec sa propre argumentation. Car le problème, ce n'est pas que la droite démocratique, même sous sa forme la plus servile au patronat, fasse campagne contre l'extrême-droite. Le problème, c'est que l'argumentaire de cette droite (et du Conseil fédéral, socialistes compris) n'est pas de nature à empêcher qu'une partie de l'électorat fasse cause commune avec l' extrême-droite, et se persuade que casser le thermomètre de l'immigration fera baisser la fièvre d'un développement économique inégalitaire et non maîtrisé, dont les victimes sont disponibles pour mener la chasse au bouc émissaire.


Qui, de la poule immigrante et de l' oeuf indigène, précède l'autre ?

L'initiative de l'UDC « contre l'immigration massive» met en péril la prospérité de la Suisse, martèlent le Conseil fédéral (très collégial dans ce martèlement, Ueli der Soldat se contentant de s'abstenir de marteler avec les autres), les partis de droite et les organisations patronale. Argumentaire : la réintroduction d'un contingentement annuel d'immigrants (y compris de requérants d'asile), et même de travailleurs frontaliers qui, par définition, ne sont pas des immigrants, impliquerait une lourde bureaucratie, compliquerait le recrutement de la main d'oeuvre nécessaire, dans un pays où, bientôt, il y aura plus de places de travail que de personnes résidentes capables de les occuper (c'est d'ailleurs déjà le cas à Genève) et impliquerait la rupture des accords de libre-circulation des personnes (et, par ricochet, de tous les autres accords de libre-circulation, y compris de celle des marchandises et des flux financiers). Bien, c'est entendu, voilà l'argumentaire de la droite, du gouvernement et des représentants de la gauche dans le gouvernement de droite. Mais à qui s'adresse cet argumentaire ? Qui peut-il convaincre, dans les marges de la prospérité helvétique ? Et ssi raisonnable qu'il paraisse, est-il vérifié empiriquement ?
Que la Suisse telle qu'elle est le soit en grande partie grâce à l'immigration ne fait aucun doute : il n'y a pas une infrastructure essentielle qui, dans ce pays, n'ait été construite par des immigrants. Et pas un service public (ou « au public ») qui ne fonctionne grâce à des immigrants ou des frontaliers. Or si l'existence et l'efficacité de ces infrastructures (économiques, sociales, de transports, de soins, d'enseignement, culturelles...) constitue le « socle »  de la «  prospérité » du pays, ce socle n'est pas cette prospérité elle-même. L'immigration n'est pas la cause de la prospérité, mais sa conséquence (si la Suisse était au niveau économique et social de l'Albanie, elle ne serait pas un pays d'immigration mais d'émigration), même si la prospérité suppose des infrastructures qui ont été matériellement construites par des immigrants, et ne fonctionneraient pas sans d'autres immigrants (ou frontaliers).

Notre ministre des Affaires étrangères, Didier Burkhalter, résume le choix à faire au moment du vote sur l'initiative xénophobe, à un choix entre « ouverture ou déclin ». C'est oublier, ou faire semblant d'ignorer, que le terme même d'«ouverture» est devenu péjoratif, et porteur d'inquiétudes, pour une part croissante de la population de ce pays. Que ces inquiétudes soient à la fois illusoires et illégitimes (puisque d'entre ceux pour qui l'« ouverture »  est une menace, nombreux sont ceux qui en bénéficient personnellement...) ne change rien à leur pregnance politique. Et puis, la question n'est pas de choisir entre l'« ouverture ou le déclin » , quand il n'y a plus de fermeture possible, et que le choix doit se faire entre une ouverture garante des droits fondamentaux des résidents comme des immigrants, et une ouverture ne répondant qu'aux « besoins de l'économie » -une ouverture où les humains sont des marchandises. On aimerait d'ailleurs bien entendre les adversaires de droite de l'initiative udéciste asséner avec nous cette évidence que la réduction des possibilité d'immigration légale n'a jamais, dans un pays plus « prospère » que ceux d'où partent les migrants, d'autre conséquence que celle d'accroître l'immigration illégale. La mise en oeuvre de l'initiative de l'UDC ne fera pas reculer d'une unité le nombre d'immigrants, mais seulement celui des immigrants légaux. Immédiatement remplacés par des immigrants illégaux. En voulant rétablir quelque chose du genre du statut du saisonnier, on n'aura ainsi que multiplié le nombre des clandestins et des sans-papiers, des travailleurs sans ststut légal ni couverture sociale -la plus rude et la plus inacceptable des sous-enchères salariale et sociale.

La prospérité de la Suisse dépend de l'immigration, l'immigration arrive parce que la Suisse est prospère. Ne choisir que l'une de ces deux propositions pour combattre une initiative qui les nie toutes deux, c'est se tromper d'argumentaire. L'initiative de l'UDC n'est pas à combattre parce qu'elle «menace la prospérité» du pays, mais parce qu'elle est, fondamentalement, odieuse, et qu'elle n'est que la plus récente (mais pas le dernière : « Ecopop » pointe son nez...) des initiatives xénophobes. A chaque votation liée à la « question des étrangers »  (puisqu'il s'avère que pour une bonne part de la population, il y a une « question des étrangers »...), on constate la permanence de la xénophobie et de l'homogénéisation de la catégorie « étrangers »  où aucune différence n'est faite entre les immigrants et les étrangers résidents, les requérants d'asile et les clandestins...
Depuis plus de dix ans, 45 % de la population approuve une affirmation idiote du genre «  les politiciens devraient se soucier plus des Suisses et moins des étrangers ». Et ce n'est pas en agitant le spectre de la « fin de la prospérité » qu'on convaincra qui que ce soit que c'est seulement en se souciant de tous les habitants, indistinctement, égalitairement, que les «politiciens» font leur boulot.

Quant à savoir qui, de la poule immigrante et de l'oeuf indigène, est à l'origine de l'autre, dans l'immédiat, franchement, peu nous chaut...

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