Du parti politique comme outil : Le prendre, s'en déprendre, en user...


Quelques débats et enjeux récents nous incitent à le rappeler : Une organisation  politique est d’abord, si elle veut être autre chose qu'un office de  placement, l’ensemble des désirs individuels d'action politique ; elle n'est ni une famille, ni un groupe thérapeutique, ni une paroisse, ni une corporation mais un instrument, politique, entre les mains de celles et ceux qui le constituent ; elle n’a ni ne doit avoir sur eux aucune prise dont ils ne pourraient se déprendre. Le parti n’est pas au-dessus de ses militants, mais en-dessous de celles et ceux qui le constituent. Et surtout, il n'est pas une fin en soi : qu'il perdure ou disparaisse, se renforce ou s'affaiblisse n'est que la rançon de sa capacité à être, précisément, un outil, qu'il faut prendre comme tel, sans s’en vouloir les chefs ni accepter d’en être les instruments, et dont on doit pouvoir se déprendre comme l’on se dévêt.

« Ceux qui font des révolutions à moitié ne font que se creuser un tombeau » (Saint-Just)

Nous ne voulons ni gouverner, ni être gouvernés ? Alors soyons ce que nous voulons : on n’abolit pas la chefferie en se donnant des chefs. Le pouvoir n’est pas à prendre mais à abolir -entre nous d’abord.  Il nous importe donc finalement assez peu de perdre ces combats politiques dont l’enjeu est le pouvoir d’Etat, le gouvernement, la maîtrise des appareils idéologiques ou répressifs d’Etat, et s’il peut parfois nous convenir de participer à de tels combats, ce devrait être pour les détourner plus que pour les gagner. Certains y verront un choix de l’impuissance -laissons ces aveugles amnésiques à la litanie de leurs échecs historiques : Trotsky prend le pouvoir, Staline le garde ; Fouché traverse tous les régimes, Saint-Just est guillotiné en Thermidor. S'il y a quelque espace à ravir à l’adversaire, il ne s’agit ni de bâtiments, ni d’institutions, ni de sièges : il s’agit de « la tête des gens », de leurs rêves et de leurs désirs, et il ne s’agit de les prendre que pour les rendre.

A supposer qu'elle soit possible, et en affirmant qu'elle est nécessaire, une révolution aujourd’hui doit forcément commencer par une critique de la mythologie révolutionnaire, et se terminer en révolutionnant la révolution elle-même, par le jeu, l’humour (le ridicule tue assez sûrement le pouvoir : quand le Roi est nu, il lui faut un rideau de spadassins pour disuader le peuple de rire de lui), le hasard, le détournement de sens -le plus beau de ces détournements serait une révolution déclenchée par des réformistes... Lorsque le système peut se sauver lui-même, les réformistes ne lui sont d’aucune utilité. C’est lorsque le capitalisme est en crise réelle et profonde que le réformisme lui est indispensable, comme ce fut lorsque le christianisme était en crise réelle et profonde qu’il fallut la Réforme pour le sauver -et le sauver des mouvements révolutionnaires  nés en son sein. Il n’y a, dans l’ordre politique, pas plus de réforme anticapitaliste concevable qu’il n’y eut, dans l’ordre du religieux, de Réforme antichrétienne. Les révolutionnaires, dans ce dernier ordre, étaient sortis du christianisme -et la Réforme les combattit avec autant de fureur que l’Eglise romaine. Luther approuve le massacre des anabaptistes comme le pape celui des huguenots, Servet finit sur le bûcher de Genève comme les Cathares sur celui de Montségur, et les sociaux-démocrates allemands couvrent l’assassinat de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht comme les staliniens celui des anarchistes espagnols.
Or le capitalisme, aujourd’hui, n’est pas en crise si profonde qu'elle puisse le condamner -il n’est qu’en l’une de ses crises consubstantielles, qui sont les explosions de son moteur. Il n’a pas besoin des réformistes pour se sauver, mais par le fait même qu’il est désormais partout, il peut être attaqué partout ; par le fait même qu’elle s’est répandue sur tout, la mercantilisation peut être sabotée partout ; par le fait même qu’il est réellement mondial, l’ordre du monde peut être subverti partout. Partout, c’est-à-dire en n’importe quel lieu social et par n’importe quel acte d’insubordination. Il n’est d’instrument dont nous ne puissions faire usage -il n’est que des instruments auxquels nous devons renoncer parce que leur usage serait si contradictoire de notre projet et de ses principes que cet usage seul annihilerait ce projet et condamnerait ces principes.

Nous n'avons pas à faire cadeau de notre liberté à qui ne sauraient en faire meilleur usage que nous-mêmes et s'il y a quelque chose à garder de Kant,  c'est cette conviction des Lumières qu'il faut se servir de son entendement, c'est-à-dire de sa raison (critique par définition) pour comprendre le monde physique et social, agir sur lui et le changer... et pas seulement s'y intégrer en l'acceptant tel qu'il est.

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